Erwin Olaf est un photographe néerlandais né en juin 1959 à Hilversum. Il vit et travaille à Amsterdam depuis les années 1980. Son style raffiné et soigné l’a rendu célèbre mondialement. Exposé à travers le monde et primé à de nombreuses reprises, Erwin Olaf a su s’inscrire de son vivant dans l’héritage culturel néerlandais. En 2018, il a notamment réalisé les portraits officiels de la famille royale néerlandaise. Depuis 2012, Erwin Olaf travaille sur le projet en trois séries : Shifting Metropolises. Après la série Berlin, il s’attaque à la ville de Shanghai pour le second chapitre de ce triptyque. Une série de magnifiques portraits picturaux dans une ville continuellement en changement.

Découvrez en plus sur Erwin Olaf et sa série Shanghai au cours de notre interview ci-dessous. 

Shanghai 2017 – Fu1088, The trinity ©️ Erwin Olaf

Pourriez-vous vous présenter ? Comment avez-vous commencé la photographie ?

En 1977, à l’âge de 18 ans, j’ai quitté la maison pour aller étudier le journalisme à Ultrecht. Pour être tout à fait honnête, ce n’était pas mon intention de devenir un journaliste dans un premier temps, bien que j’aie adoré la super mentalité libre « flower power » lorsque j’ai visité l’école lors d’une journée portes ouvertes. C’est comme si le grand monde m’attendait. Lors de ma première année d’études, il s’est avéré que l’écriture n’était pas ma véritable passion, même si j’appréciai cela. L’un des photographes enseignant m’a vu lutter entre l’écriture et la découverte de ma toute nouvelle liberté à tout juste 18 ans. Il m’a alors proposé de rejoindre sa classe de photographie pour débutants.

Dès la première leçon, je suis tombé amoureux de ce medium. Le poids et le contact froid du métal peint en noir du Nikon FM et des objectifs. Le grain romantique de la pellicule Kodak TRI-X Pan à 400 ou poussé à 1600 ASA. L’odeur de la chambre noire, la lumière verte/jaune, la magie quand le papier touchait le liquide et que l’image commençait à apparaître. J’ai aimé chaque aspect. Mais ce qui m’a fasciné le plus c’était le pouvoir du recadrage, le choix du point de vue, le mouvement figé dans le temps et la beauté de révéler toutes les palettes de couleurs jusqu’à l’essentiel noir et blanc et toutes les sortes de gris au milieu.

Comment vous est venue l’idée de cette série ? Quelle type de relation entretenez-vous avec la ville de Shanghai ?

Shanghai me rappelle un jeune adolescent, confiant, rempli d’une énergie illimitée, convaincu de son propre pouvoir et faisant tout ce qu’il faut pour atteindre son potentiel. Cette puissance s’affirme par l’immense silhouette de la ville et de sa banlieue qui germent, grandissent et changent presque chaque mois. Il peut être effrayant de voir à quelle vitesse la puberté a transformé cette ville en un jeune adulte obèse, son coeur battant de plus en plus vite dans une atmosphère étouffante de réaménagement impitoyable. Pour moi, Shanghai incarne le pouvoir explosif d’expansionnisme que le continent asiatique mène depuis ces dix dernières années.

Cette métropole est, à une échelle macro, fortement agitée. Pourtant au niveau micro c’est le contraire, l’énormité se perd lorsque l’on joint les innombrables microcosmes qui font que Shanghai est si riche. Et je veux, à travers mon travail, unir ces extrêmes apparemment incompatibles. Il y a, par exemple, la sérénité qui se dégage dans une grande partie de l’ancienne concession française avec ses avenues bordées d’arbres. Il y a les danses impromptues et les démonstrations de gymnastique sur les places publiques, et l’effervescence enjouée dans les ruelles, des quartiers en déclin et surpeuplés où les résidents attendent souvent leur déménagement forcé avant la démolition définitive.

En tant que ville internationale, Shanghai est également considérée par beaucoup comme une oasis de liberté relative et d'émancipation dans un pays avec un régime à parti unique.

De ce fait, la position de beaucoup de jeunes femmes ici est également exceptionnelle. Elles sont vues comme très indépendantes et affirmées, avec de hautes positions sociales impossibles à obtenir dans les zones plus traditionnelles conservatrices. J’ai travaillé et appris de certains d’entre elles ces dernières années. Et il est apparu suite à de nombreuses conversations que la distance entre elles et la plupart des hommes restent grande. C’est dans ce gouffre que la solitude et l’aliénation se cachent souvent. La distance et le chagrin silencieux deviennent donc un thème de la série, exprimée particulièrement dans six courtes vidéos.

Par rapport à ces impressions et à beaucoup de rencontres personnelles au cours de divers voyages à Shanghai, j’ai décidé de chercher des emplacements avec une histoire et un sujet. Cela n’a pas toujours été facile. Shanghai a été reconstruite, renouvelée et rafraîchie à une allure rapide. J’ai dû arriver dans ces lieux avant que le forgeron ait abaissé son marteau ou qu’une malencontreuse restauration ai tout détruit. Dans beaucoup de ces lieux, il y a eu un anonyme sensible qui a gêné la progression. Et bien sûr il y a le veto invisible et incontestable du gouvernement.

Pendant et après cette quête, nourrie par tant d’entretiens et d’observations, je me suis fait à l’idée que mon travail devait également être à propos du changement, du départ et des adieux. Dans une société où l’on considère que trop afficher ses sentiments est inapproprié, j’ai voulu me concentrer sur les émotions qui surgissent face à ces changements et les façons dont ils sont traités.

Shanghai 2017 – 1933, The letter ©️ Erwin Olaf

Comment travaillez-vous la lumière de vos images ? Et avec quel matériel travaillez-vous habituellement ?

En visualisant et en prenant le temps approprié pour éclairer quelqu’un ou quelque chose. Vous utilisez vos yeux et apprenez en faisant des essais et des erreurs. J’ai toujours utilisé mon Hasselblad avec un dos Phase One.

Quelles sont vos principales sources d'inspiration ?

Mon inspiration vient principalement de mes expériences de la vie et des choses qui arrivent quotidiennement dans le monde. Une grande inspiration vient donc de l’actualité. C’est principalement grâce à cela que me viennent les idées que je veux explorer et ainsi de suite jusqu’à ce que nous commencions à shooter. Je discute mon idée avec les stylistes, le coiffeur, le maquilleur et le scénographe.

Mes plus grandes références viennent de peintres comme : Rembrandt, Vermeer, Otto Dix et Norman Rockwell. À côté de cela, je suis inspiré par des films comme : Le Casanova de Fellini de Federico Fellini, Blow-up de Michelangelo Antonioni et Les yeux de Laura Mars d’Irvin Kershner. Des photographes comme Robert Mapplethorpe, Helmut Newton and Joel Peter Witkin sont des références importantes dans mon travail personnel.

Avez-vous des projets en cours ?

Depuis 6 ans je travaille sur un projet qui s’intitule « Shifting Metropolises« . Shanghai est le second chapitre de ce triptyque.

Jamais les villes n’ont été aussi peuplées qu’elles le sont actuellement. Cette gravitation vers les villes a suscité de grands changements de la vie urbaine à travers le monde, qui non seulement a eu d’énormes conséquences pour la société dans son ensemble, mais aussi pour l’individu. Shifting Metropolises est une exploration intense de ces conséquences, fournissant une perspective fortement nécessaire sur la rapide transformation actuelle de la vie urbaine. Cette année je photographierai et filmerai une nouvelle série aux Etats-Unis, qui sera présentée en association avec mes deux autres séries : la première Berlin, et la plus récente Shanghai. Ensemble elles formeront une installation unique, aboutissant à plusieurs triptyques multi-couches qui explorent le coeur même de la société urbaine à une époque où cela est plus pertinent que jamais.

Ce triptyque est le seul projet que j’ai shooté sur place plutôt que dans un studio. Néanmoins, j’ai réalisé les photographies et films de ces trois séries dans le style qui m’a rendu célèbre. Des images caractérisées par un éclairage pictural, cheveux et maquillage impeccables, et des réglages qui créent une ambiance pleine de charme et de sérénité. Toutefois, une photographie que je prends n’est jamais qu’une simple photographie. Derrière la surface impeccable, se cache toujours une histoire exceptionnelle, abordant des questions sociales, des tabous sociaux et la politique. Dans le cas de Shifting Metropolises, cela a mené à un travail qui est non seulement visuellement stupéfiant et captivant, mais aussi admirablement complexe, féroce et brutalement critique. Shifting Metropolises est la vraie vie sur scène : l’imaginaire transpercé par une réalité mordante.

Shanghai 2017 – Huai Hai 116, Self Portrait ©️ Erwin Olaf

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