La photographe Suzan Pektas est revenue sur sa terre natale, où elle a passé son enfance entourée de sa famille. De cette redécouverte de la Bulgarie, 25 ans après son départ, est née la série photographique « Dreams The Black Sea ». Celle-ci est inspirée des mythes et histoires que son grand-père lui racontait enfant. Elle retrace une enfance lointaine, ravivée par de nouveaux moments mémorables vécus avec sa famille, proche et lointaine. Pour faire vivre pleinement ce projet, Suzan a parcouru cinq pays autour de la mer Noire : La Bulgarie, la Roumanie, l’Ukraine, la Turquie et la Géorgie. Entre album de famille et série documentaire, les images de Suzan explorent à la fois le passé et le présent, le mythe et la réalité, l’histoire personnelle et universelle.
Découvrez notre interview exclusive.
Tout d'abord, pouvez-vous nous parler un peu de vous et de votre parcours ?
Depuis mes années de collège, la photographie m’a toujours offert un moyen unique d’expression et de créativité. Avec le temps, la photographie a évolué pour devenir une expérience personnelle pour moi. Elle est maintenant une partie importante de mon travail actuel.
Il s’agit de me découvrir, de rechercher ma propre image en tant que femme, mère et immigrée, reflétée par mes sujets. J’aime aussi, ou je suis peut-être dépendante, de la façon dont la photographie me transforme et de ce que je ressens lorsque je crée. C’est une véritable passion que d’élargir mes propres sens, de me pousser, de visualiser un peu plus de moi-même. Depuis 2015, je continue d’explorer différentes formes visuelles à l’intersection entre les arts visuels et la documentation.
Pouvez-vous nous présenter votre projet "Dreams The Black Sea" ?
Parmi les moments les plus mémorables de mon enfance, il y a les vacances d’été que toute la famille passait dans une petite cabane sur la côte de la mer Noire. Le clou du spectacle a toujours été les histoires envoûtantes que mon grand-père nous racontait sur les chevaux sans tête, les jolies filles et la mer. Acteur à la retraite, il était prisonnier de ses illusions et de ses rêves. Je pense que ses spectacles étaient ce qui le maintenait en vie. Je porte encore la magie de ses histoires.
Les chevaux blancs sans tête et les vagues régulières bleu-gris de la mer Noire ont déclenché la même pesanteur spirituelle que l’image qui revient dans mon esprit depuis des années. Lorsque j’ai visité ma terre natale, la Bulgarie, avec ma famille après 25 ans, la mer a évoqué tous ces souvenirs interrompant mes pensées et mes rêveries. Et je suis lentement devenue obsédée par la mer Noire et ses mythes.
Pour ce projet, j’ai effectué plusieurs voyages sur la côte de la mer Noire, dans cinq pays : Bulgarie, Roumanie, Ukraine, Turquie et Géorgie. Je considère mon voyage comme une documentation sur la vie le long de la côte et sur le mysticisme qui existait dans les histoires de mon grand-père. J’ai parcouru la région, principalement la partie sud, à la recherche de traces de mon passé, de notes visuelles reliant mon existence actuelle à mon enfance au bord de la mer et à la mer elle-même.
Y a-t-il un message, une émotion particulière ou une histoire que vous souhaitez transmettre à travers "Dreams The Black Sea" ?
Je crois que le passé est étroitement lié à ce que nous ressentons aujourd’hui, qu’il n’est pas figé mais qu’il a plutôt une nature dynamique liée à notre présent. Nous oublions et nous nous souvenons constamment, chaque fois avec une nouvelle touche. Ce point de vue me libère d’une réalité froide et figée. Je suis certes liée à mon passé, mais j’en suis aussi libérée, car je peux le transformer grâce à mes récits visuels. J’ai remarqué cela en parlant des histoires de mon grand-père lors de mes voyages. Au bout d’un moment, je me suis demandé si je racontais les histoires de mon grand-père ou les miennes. Tout cela s’est transformé en une activité performative libératrice.
Qui sont les personnes que vous photographiez ? Comment allez-vous à leur rencontre ?
Les histoires de mon grand-père et leurs personnages, que j’écoutais quand j’étais enfant, se sont transformées avec le temps en une mythologie personnelle colorée de mon lointain passé. Ils m’ont guidé dans la narration de ma propre histoire lorsque j’ai visité mon pays natal 25 ans plus tard. J’ai retrouvé mes amis d’enfance, des membres de ma famille éloignée, des voisins. Je voulais que ce soit une expérience mémorable à la fois pour moi et pour eux. Je voulais souligner les aspects les plus surréalistes et les plus magiques de notre vie quotidienne, afin de rendre tangible mon lien avec ces lieux particuliers.
Les personnages de mon grand-père m’ont soutenu dans cette démarche. Qu’il s’agisse d’une femme en rouge, d’une personne flottant sur la mer ou d’un cheval sans tête. Parfois des personnes que je connais, parfois quelqu’un que j’ai rencontré par hasard sur la route ont assumé ces rôles, consciemment ou inconsciemment.
Les moments partagés avec les amis et la famille ont été particulièrement marquants.
Nous nous sommes isolés pour raconter des histoires du passé, qui se sont souvent transformées en spectacle, en danse peut-être. J’ai aimé trouver de petites histoires dans leurs interprétations.
Y a-t-il une image qui vous tient particulièrement à cœur ?
L’une des photographies les plus personnelles de la série est celle de ma fille dormant dans le jardin où j’ai passé mon enfance. J’avais peur de la réveiller en appuyant sur le déclencheur.
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