Nicola Fioravanti nous emporte au coeur du Maroc à travers son regard de photographe. Tombé sous le charme du pays dès ses débuts en photo, cette série au long court évolue au fil des années et des voyages. Son lien avec le Maroc est d’autant plus profond que sa femme est marocaine, dépassant ainsi la seule relation artistique.

Aujourd’hui installé à Paris, Nicola est un photographe d’origine italienne au parcours singulier. Avant de se consacrer à la photographie, c’est dans la musique puis dans le développement créatif qu’il a fait carrière. Spécialisé dans la photographie de rue, il accorde une importance particulière à la couleur, qui consiste en un élément central dans ses images. Nicola Fioravanti a obtenu de nombreuses récompenses prestigieuses lors de concours internationaux tels que les Sony World Photography Awards, les International Photography Awards (IPA), le Prix de la Photographie de Paris (PX3) et les ND Awards, entre autres.

Découvrez notre interview exclusive du photographe Nicola Fioravanti. 

Ouarzazate, Morocco. 2022. © Nicola Fioravanti série photo au Maroc Atlas Sentimental
Ouarzazate, Morocco. 2022. © Nicola Fioravanti

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vous et votre parcours photographique ?

Je suis un photographe italien qui a choisi de s’installer à Paris il y a un an et demi pour me consacrer entièrement à la photographie. Mon parcours vers cet art a été tardif et profondément atypique. J’ai commencé à photographier avant tout pour mieux me comprendre et explorer le monde qui m’entoure.

Quel est votre lien avec le Maroc ? D'où vous est venue l'envie de réaliser cette série photo ?

J’ai commencé à prendre mes premières photos en 2010. Au départ, je n’arrivais pas à photographier en couleur, ce qui est assez amusant quand on pense qu’aujourd’hui, je suis considéré comme un coloriste. Mon premier voyage photographique m’a conduit au Maroc, une destination que j’ai choisie instinctivement.

À l’époque, je photographiais depuis seulement quelques mois (vous pouvez découvrir mes tout premiers clichés ici). Le Maroc est resté gravé dans mon cœur, mais c’est lors de mon retour en 2019, avec une maturité plus affirmée, que l’idée de l’Atlas Sentimental a vu le jour. Ce second voyage avait une signification particulière : j’y suis allé avec celle qui allait devenir ma femme, une femme marocaine.

C’est ainsi que l’Atlas Sentimental est né : un acte d’amour pour le pays que j’aime le plus, tout en étant une réflexion intime pour mieux comprendre le monde dans lequel la femme que j’aime est née. Depuis ce voyage, elle m’accompagne presque toujours lors de mes expéditions au Maroc. J’y suis retourné dès que cela a été possible après la pandémie, en 2022, puis à nouveau en 2023 et en 2024. Ce projet, profondément personnel, est toujours en cours et, raisonnablement, il durera toute ma vie.

Que représentent les couleurs pour vous et votre photographie ?

On pense souvent que la couleur, comme le noir et blanc, n’est qu’un simple moyen pour atteindre un objectif en photographie. Pourtant, je trouve cette vision très réductrice : pour moi, la couleur n’est pas seulement un outil, mais un véritable sujet. La réalité elle-même est colorée, et cette constatation, en apparence simple, découle d’un long processus de prise de conscience.

L’expérience de la couleur demande une sensibilité perceptive, une capacité d’interprétation intellectuelle et une connexion émotionnelle. Le chromatisme s’entrelace avec notre psyché, comme en témoignent de nombreux termes qui associent des significations chromatiques et psychologiques : le noir est une tonalité visuelle, mais aussi une nuance de l’humeur ; le vert évoque la nature, mais également une conscience écologique.

Il existe un lien profond entre perception sensorielle et émotion, qui donne naissance à un langage chromatique capable d’exprimer des concepts complexes, comme une vie « grise » ou un avenir « rose ». Ce langage peut être conventionnel, où par exemple le rouge signale un danger, ou symbolique, comme dans le cas du blanc, qui représente l’illumination dans tous les sens du terme. Les codes conventionnels sont souvent liés à des contextes locaux, tandis que les codes symboliques ont une portée plus universelle. Leur signification reste en partie mystérieuse, mais ils parviennent à toucher aussi bien ceux qui les comprennent que ceux qui les perçoivent intuitivement. La photographie en couleur, pour moi, explore précisément cette complexité.

Casablanca, Morocco. 2024. © Nicola Fioravanti série photo Maroc Atlas Sentimental
Casablanca, Morocco. 2024. © Nicola Fioravanti

On voit très peu de visages sur vos images. Bien souvent, nous observons seulement des silhouettes, de dos, dans l'ombre, etc. Comment expliquez-vous cela ?

La beauté ne peut exister sans pudeur. Nous vivons à une époque marquée par la vulgarité, où la discrétion et la sensibilité semblent être des notions oubliées. Pourtant, il y a quelque chose de profondément fascinant dans le fait d’imaginer les visages de ceux qui ne sont pas directement visibles dans les images, comme si cette absence ouvrait un espace pour l’imagination, pour une histoire qui dépasse le visible.

Je pense que ce choix n’est pas seulement esthétique, mais aussi éthique : c’est une forme de respect envers les personnes photographiées, une manière de préserver leur dignité et leur intimité. Montrer tout, exposer chaque détail, risque de dépouiller les images de leur magie, les réduisant à une simple consommation visuelle. À l’inverse, laisser quelque chose d’inexprimé, de dissimulé, permet à celui qui regarde d’établir un lien plus profond et authentique avec l’image, où la beauté réside non seulement dans ce qui est visible, mais aussi dans ce qui se ressent et s’imagine.

Comment choisissez-vous les lieux de prise de vue ? Est-ce sur l'instant ou repérez-vous des endroits propices à la photographie en amont ?

Le processus est absolument naturel et intuitif. Je ne connais pas de meilleure façon de découvrir une ville que de marcher. Je me promène, guidé par mon instinct, en attendant qu’une image me saisisse. Il me semble qu’en général, ce sont les images qui choisissent les photographes, plutôt que l’inverse, du moins dans mon cas.

Y a-t-il une image dans cette série qui vous tient particulièrement à cœur ? Si oui, pour quelle(s) raison(s) ?

L’image à laquelle je suis le plus attaché est sans aucun doute la première de la série, sélectionnée par la curatrice Daniela Brignone pour ma prochaine grande exposition, entièrement dédiée à l’Atlas Sentimental. Ce sera la première exposition que l’Italie consacrera entièrement au Maroc, et elle se tiendra au Centro Internazionale di Fotografia Letizia Battaglia de Palerme, du 15 avril au 25 mai 2025. Nous sommes également en train de définir le lieu pour l’édition marocaine, prévue à l’automne 2025.  Cette photographie a été prise à Errachidia le 14 août 2024.

Dans un espace ouvert, habituellement utilisé pour la Salat d’Al Eid Al-Adha, apparaît presque magiquement un nuage solitaire. Après la publication de l’image, j’ai reçu de nombreux messages d’habitants d’Errachidia. Ils m’ont raconté que, quelques mois auparavant, une personne était décédée à cet endroit. C’est pour cette raison qu’ils avaient décidé de peindre une moitié du mur en blanc. Au Maroc, le blanc est associé à l’espoir et à la foi : l’espoir qu’un événement propice survienne en ce lieu.

Beaucoup ont vu dans cette photo un signe de bon augure, à tel point qu’ils sont retournés pour la première fois dans cet endroit après le deuil, afin de remercier pour cet événement. Recevoir des photos de ces personnes revenant sur les lieux grâce à mon image a été une expérience profondément émouvante. Cette photographie est interprétée de différentes manières par de nombreux Marocains. Certains y voient un équilibre symbolique entre la vie, représentée par l’arbre ; la purification dans la mort, symbolisée par l’autel blanc destiné à l’imam ; et l’harmonie céleste, évoquée par le nuage. Le fait que tant de Marocains lisent cette image de manière aussi profonde me confirme qu’elle parvient à exprimer quelque chose d’essentiel et d’authentique sur le Maroc.

ErrachidErrachidia, Morocco. 2024 © Nicola Fioravanti série photo Maroc Atlas Sentimentalia, Morocco. 2024
Errachidia, Morocco. 2024 © Nicola Fioravanti
Portrait du photographe Nicola Fioravanti
Le photographe Nicola Fioravanti

Nicola Fioravanti : SiteInstagram