Ofir Barak - Mea Shearim
© Ofir Barak – Mea Shearim
A l’occasion de la sortie de son livre « Mea Shearim – the streets » qui retrace son magnifique projet photo dans les rues de Mea Shearim, le photographe Ofir Barak a accepté de répondre à nos questions au cours d’une interview enrichissante et fascinante.

Découvrez en plus sur ce talentueux photographe et son incroyable série photo en noir et blanc dans les rues de Mea Shearim – un quartier ultra-orthodoxe de Jérusalem où le temps semble s’être arrêté.  

Pouvez-vous vous présenter ? Comment avez-vous débuté la photographie ?

Mon nom est Ofir Barak, et je suis un photographe de Jérusalem, Israël.
Je pense qu’une décision prise par une personne est souvent due à une suite d’événements qui le font arriver à une certaine conclusion. La photographie a bercé mon enfance. Mon père et mon grand-père emportaient toujours des appareils photo lors des vacances en famille. Mais c’est l’âge adulte qui m’a de nouveau mené vers la photographie. L’idée pour mon projet sur les rues de Mea Shearim a été le résultat d’une réflexion qui avait commencé depuis longtemps et de la perte d’une personne aimée.
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Le besoin de s’exprimer

Tout à commencé dans une quête pour trouver un moyen de m’exprimer à travers l’art. Au fond, je suis un peintre. C’était ce qui me passionnait ; c’est ce que j’aimais faire. Mais il y a eu une période, qui a duré plusieurs mois, où j’ai manqué de motivation pour créer. J’étais frustré et j’ai décidé de trouver une nouvelle voie pour m’exprimer. J’ai pensé que voyager quelque part à la recherche de réponses pourrait m’aider à me remettre les idées en places. Il était clair pour moi que pour trouver un autre moyen d’expression. J’avais besoin de m’entourer de toutes les formes d’arts que je pouvais trouver – littérature, poésie, peinture, architecture, etc.

Je me suis souvenu que les musées de Washington D.C sont gratuits, et j’ai donc décidé d’y aller. Chaque jour, je me rendais dans un musée différent et je profitais des différentes galeries d’art. Un jour, par erreur, je suis entrée du mauvais côté dans l’exposition de Garry Winogrand – par la sortie. Je ne savais pas qui était le photographe, mais j’ai été frappé par ses images. A ce moment là, j’ai eu une épiphanie. C’est ce que je voulais faire.

J’ai passé deux heures dans la galerie, jusqu’à ce que je réalise que je ne pouvais pas tout absorber en une fois. Je suis revenu trois fois de plus pour profiter et en apprendre plus de ce photographe. Je me concentrait à chaque fois sur une photographie différente. Dans l’exposition, il y avait aussi une petite salle de projection avec sa célèbre allocution à l’université Rice. A chacune de mes visites, je prenais un carnet avec moi et je m’asseyais dans un coin de la pièce et tandis qu’il parlait. Je notais des petites anecdotes de ce que je voulais réaliser et comment y arriver.

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Le moyen de faire son deuil

Le deuxième événement qui m’a poussé à devenir photographe a été la perte de ma grand-mère. Nous avions un lien spécial et nous avions pour routine hebdomadaire de discuter de mes photographies. Début 2014, sa santé a commencé a se détériorer. Nous avons du réduire ces sessions, jusqu’à ce que finalement elle soit hospitalisée.

Lors d’une de mes visites, tandis que nous étions sur son lit, je voulais soulager son esprit des traitements. Je lui ai demandé si elle souhaitait voir une photo que j’avais prise la veille. Elle a immédiatement dit oui, et a été très enthousiaste quand je lui ai montré la photographie. Nous avons analysé la photo comme nous avions l’habitude de le faire. Effaçant de notre esprit la chambre d’hôpital dans laquelle nous étions, profitant de ce moment et de la compagnie de l’autre. Aucun d’entre nous ne savait que cela serait notre dernier moment ensemble. Après sa mort, j’ai décidé de réaliser un projet basé sur cette dernière photo que je lui ai montré.

Ofir Barak - Mea Shearim
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– Qu’est-ce que Mea Shearim ? Et comment avez-vous eu l’idée de photographier et documenter ses rues et ses habitants ? 

Fondé en 1874, Mea Shearim est l’un des 5 premiers quartiers juifs construit hors des murs de la vieille ville de Jérusalem.

Son nom est tiré d’un verset de la Torah et correspondait à la Parasha de la semaine lue à la synagogue la semaine où fut créé le quartier. « Isaac sema en cette terre-là, et il recueillit cette année-là le centuple (Mea Shearim), car Dieu le bénit. » (Genèse 26:12).

Mea Shearim reste aujourd’hui fidèle à ses vieilles coutumes et préserve son isolement dans le cœur de Jérusalem en essayant de conjurer le monde moderne. Il est en un sens, gelé dans le temps. Les maisons qui ont été construites il y a plus de 100 ans sont debout à côté des nouvelles. La vie de la communauté Hassidique tourne autour de l’observation stricte de la loi juive, de la prière et de l’étude de textes religieux.

Le style vestimentaire traditionnel pour les hommes et les garçons est composé de redingotes noires et de chapeaux noirs. De longues barbes couvrent leurs visages et beaucoup ont des boucles sur les côtés que l’on nomme « papillotes ». Les femmes et les filles sont sommées de porte ce que l’on considère comme des robes sobres. La longueur du genou ou des jupes plus longues, aucune blouse sans manches ou d’épaules nues. Les femmes mariées portent des couvre-chefs variés, des chapeaux aux perruques en passant par des foulards.

 

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Je suis d’accord avec la supposition qui dit que le meilleur endroit pour faire des photos est dans sa propre arrière-cour. La proximité géographique avec votre sujet est très importante puisqu’elle vous permet de le visiter régulièrement et de documenter les changements qui peuvent avoir lieu. Mais cette situation peut aussi présenter des difficultés. En effet, vous n’aurez pas un « regard neuf », et votre vision pourra être bloquée puisque le sujet vous est familier. C’est une tache très dure au fond, puisque l’image que vous prenez représente votre point de vue, et vous devez travailler dur pour le changer.

Cela a été le cas avec « Mea Shearim » et j’ai dû passer par un processus pour séparer ce que je connais de ce que j’ai vu. J’ai vécu la majeure partie de ma vie à Jérusalem, j’avais donc eu le temps de me faire une opinion sur la population Hassidique. Point de vue qui a été influencé pendant des années par les médias et leur spécificité de vie en tant que groupe. Comme le plus célèbre, le non-enrôlement pour l’IDF [Israel Defense Forces] à l’âge de 18 ans (tous les autres résidents juifs de l’État d’Israël sont soumis au service militaire obligatoire).

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Les conséquences du projet

Pour ce projet, j’ai voulu passer au-dessus de ma perception et simplement essayer de voir l’endroit et ses habitants. Le plus gros défi que j’ai eu a été l’édition du livre. L’édition est toujours la partie la plus compliquée lorsqu’on réalise un livre, car il faut être précis et faire des modifications sévères. Ajoutez à cela que j’avais rassemblé entre 10 000 et 13 000 images à choisir. C’était même la tâche la plus dure. 

Quand j’ai commencé, j’ai vu que le résultat était très politique – des protestations contre le gouvernement, la dépression des femmes et la suprématie des hommes. J’ai été déçu et je n’ai pas voulu accepter que ceci pût être tout ce que j’avais vu dans Mea Shearim. Je n’ai pas voulu accepter l’influence du récit que nous connaissons tous et que je vous ai exposé plus tôt. J’ai dû m’effacer, pour permettre à l’image de devenir plus forte et j’ai décidé de laisser tomber cette version et je suis reparti à la recherche de nouvelles images.

De cette période, j’ai rassemblé plus de 2 000 photos qui contenaient des bonnes choses. Il s’agit des sentiments positifs, les expressions de joie et principalement les choses humaines que je n’avais pas essayées de trouver en premier lieu. La forme actuelle du livre représente un équilibre entre les bons et mauvais événements de la vie quotidienne de ses habitants. Comme c’est le cas pour l’ensemble des gens.

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– Comment avez fait pour accéder à ce quartier et réaliser ces photos ? 

Tout dans la vie demande de la patience, de la persistance et de l’attitude et c’est ainsi qu’a été mon approche à Mea Shearim. La communauté de Mea Shearim est évidemment plus fermée que d’autres sociétés libérales. Ils sont en batailles constantes. Ils essayent de contrer la révolution numérique qu’ils considèrent comme créant une distance entre eux et la religion.

Quand j’ai débuté ce projet en 2014, je marchais dans la zone avec mon appareil photo. Les regards que j’obtenais des résidents quand je levais mon appareil photo à mes yeux était très désagréable. Cela me démotivait. La plupart du temps, je faisais demi-tour après avoir pris 2 3 photos. 

Ofir Barak - Mea Shearim
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Son adaptation

Je me suis rendu compte que je devais moins apparaître comme un étranger si je souhaitais capturer la vie de cette communauté correctement. J‘ai dû m’intégrer. J’ai commencé à modifier mon apparence et mes vêtements en conséquence. En visitant Mea Shearim, je portais uniquement du noir et je me suis laissé pousser une longue barbe. De jour comme de nuit. J’ai même commencé à manger régulièrement dans le quartier. Je me suis lentement adapté et je me suis libéré de ma timidité et de ma crainte. 

J’ai adopté l’endroit et d’une façon ou d’une autre l’endroit m’a adopté – les gens ont commencé à s’approcher et à poser des questions sur ma présence. J’ai fait face à toutes sortes de réactions . Certains m’ont menacé. On a voulu casser mon appareil photo. Ou encore pire, mais la majorité était juste curieuse et ils m’ont laissé réaliser mon projet. Certains ont même voulu m’aider à expliquer l’endroit. Ils m’ont montré des choses uniques ou m’ont présenté à d’autres personnes qui souhaitaient m’aider, c’est devenu une chose.

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– Quelle est la photo dont vous êtes le plus fier ? (Et pour quelle(s) raison(s) ?)

Les meilleures images sont celles qui vous font réagir, qui vont provoquer chez vous des émotions. Elles laissent certains entrevoir des choses que d’autres ne peuvent pas voir et font vivre une expérience unique à chacun. J’ai beaucoup de favoris en ce qui concerne la composition ou le sujet, mais une image est cher à mon cœur. C’est l’unique image du projet que grand-mère a vu avant de décéder.

C’est la toute première photo que j’ai prise d’un clochard en train de mendier dans les rues de Mea shearim . Cette image est pour moi le dernier souvenir de ma défunte grand-mère et symbolise le nouveau départ que j’ai pris. Pour moi, c’est une image qui tient tant de la fin que du commencement.

 

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– Quelles sont vos principales inspirations pour ce projet ?

La liste de mes influences et inspirations est très large. Evidemment les photographes de l’agence Magnum Photos ont en grande partie influencer ma perception et mon flux de travail. J’admire l’ensemble des photographes de cette agence, et plus particulièrement Cartier-Bresson, Josef Koudelka, Larry Towell, Abbas, Micha Bar-am et la liste continue encore et encore. Ils sont aujourd’hui ma source quotidienne d’inspiration, et j’espère un jour faire partie de leur grande agence.

Garry Winogrand que j’ai mentionné plus tôt est aussi pour moi sur un piédestal. Mais, si je dois choisir une personne qui a influencé le projet de ce livre « Mea Shearim – the streets », ce serait Robert Frank et « The Americans« . Quand j’ai commencé ce projet, j’ai lu beaucoup. Et je suis tombé sur un article sur lui qui encensait son travail pour « The Americans ». J’ai donc décidé d’y jeter un coup d’œil, et comme un cliché, plus rien a été pareil depuis.

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J’ai commencé à consulter tout ce que je pouvais à ce sujet – vidéos, articles, livres. Soudainement, ses mots au sujet du projet étaient aussi importants que ses photographies. D’une certaine façon, je suis devenu obsédé. Quand j’en ai eu fini avec tout ce que j’avais pu trouver, j’ai commencé à consulter toutes les pages à ce sujet. (sur le site de la National Gallery Art). J’ai passé des jours à les regarder. Mais ce n’était pas suffisant, il me fallait une copie papier.

J’ai eu la chance d’acheter une édition limitée de Yugensha qui en comptait 88. Je les ai regardées à maintes reprises, chaque jour avant de débuter ce projet. En apprendre plus sur Frank et « The Americans » a été très éducatif.  D’abord d’un point de vue technique. Mais aussi dans la façon de former les idées, un projet photo et une édition forte.

 

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