Plus connu pour son travail de directeur de la photographie au cinéma, Robby Müller est pourtant un photographe très prolifique. Depuis 1974, il a pris plus de 2000 Polaroïds qu’il conservait précieusement dans une boîte chez lui aux Pays-Bas. Depuis sa mort en 2018, sa femme, Andrea Müller-Schirmer, travaille sur l’archivage des photos de Robby pour les présenter au grand public.
Que ce soit en tournage ou avec son Polaroïd SX-70 en main, le fil rouge de l’œuvre de Robby Müller est la lumière. Méticuleusement travaillée sur les plateaux et sans cesse étudiée avec ses photos, Robby était un photographe à l’œil sensible en adoration des ombres et des reflets. Pour présenter son travail, nous avons posé nos questions à Andrea Müller-Schirmer.
Robby Müller a commencé le Polaroïd sur le tournage de Alice Dans Les Villes (1974). Qu'aimait-il particulièrement avec ce médium ?
Pour ce film, il a pu essayer un prototype du Polaroïd SX-70. Ils ont ensuite utilisé l’appareil pour les photos de continuité sur le tournage. Tous les services sur le plateau l’utilisaient, il restaient donc beaucoup de pellicules qu’ils se sont partagé à la fin du tournage.
Je pense que Robby aimait beaucoup le résultat immédiat. Beaucoup de ses Polaroïds sont des études, des observations de la lumière et de comment elle se comporte. Ce sont des petites natures mortes.
C’était très appréciable de tenter une prise de vue et de voir directement comment elle évolue. En plus de cela survient l’intimité du format, les couleurs des films Polaroïds de l’époque (qui ne sont plus comme ça) et la douce texture de l’émulsion impalpable. Il l’aimait l’objet Polaroïd en lui même. Aujourd’hui sa singularité peut-être perçue comme un objet encore plus précieux parce qu’on reproduit beaucoup plus les images.
Robby a pris plus de 2.000 Polaroïds. Étaient-ils tous pour son propre plaisir ? Certains étaient-ils pris avec une certaine intention en tête ?
Robby ne prenait pas plus d’une quinzaine de photos au Polaroïd sur les tournages. Ils n’étaient pas forcément pris en lien avec la scène qui était tournée. En tant que directeur de la photographie il n’avait pas forcément le temps sur le plateau. Il devait travailler sur les lieux, être présent lors des répétitions, puis installer les lumières avant de commencer à tourner. Il maniait toujours la caméra lui-même.
Il prenait des photos durant son temps libre, les weekends, pendant ses voyages de vacances ou bien à la maison. Ces photos étaient pour lui-même. Il ne se voyait pas comme un photographe qui allait exposer. Son travail de directeur de la photographie était public, mais ses photos pour lui seul. On peut bien voir que ses photos sont l’expression naturelle de son œil esthétique, d’un esprit qui voit et pense naturellement la couleur et la composition; le mouvement et l’immobilité; la lumière et l’obscurité.
Serait-il resté en bonne santé plus longtemps qu’il aurait probablement publié ses photos lui-même. L’intérêt du public pour la photographie des réalisateurs — que l’on retrouve pour des collègues de Robby — a grandi ces dernières années. J’ai donc fait ce travail pour Robby.
Quelle était l'approche de Robby par rapport à la photo ? Jim Jarmusch disait de lui : "On trouvait le plus beau et le plus dramatique des paysages qu'on puisse imaginer et on lui tournait le dos pour filmer de l'autre côté. Robby m'a dit "c'est magnifique, mais on voit ça partout sur des calendriers ! Si on regarde par là, il y a un petit arbre et une pierre, c'est triste, émotionnel, tu vois ?" Pensez-vous que c'est un bon résumé de sa vision de la photographie et de la vie en général ?
C’est une citation que l’on peut plutôt mettre en relation avec le storytelling d’un film, où l’important n’est pas d’être frappé par un beau paysage mais de trouver une image qui colle au film. La grandeur et des lieux pompeux sont trop déconcentrants. Robby disait que s’il fallait tourner un dialogue dans la chapelle Sixtine, il ne serait pas nécessaire de la montrer dans toute sa grandeur. Il vaudrait mieux la filmer avec nonchalance.
Cette approche se retrouve aussi bien dans son travail photographique. Tout le monde peut prendre une belle photo d’un coucher de soleil. Robby cherchait la beauté dans le modeste, les choses mondaines. Il s’agissait d’être un observateur attentionné. Émotion et vérité étaient plus importants pour lui que des images spectaculaires.
Robby était surnommé "le Maître de la Lumière". Peut-on voir un lien entre la lumière et une certaine définition de la beauté qu'il aurait pu avoir ?
Je dirais qu’il était extrêmement sensible à la lumière. Cela prend également en compte l’absence de lumière, les ombres et toutes les graduations entre les deux, ainsi que les reflets et effets de miroirs. Il remarquait ça en permanence, en tous lieux. Je pense que c’était un observateur très fin et sensible. Il créait ses lumières sur les tournages avec cette même mentalité. Mais en lumière naturelle, il pouvait facilement réagir spontanément, ou bien attendre patiemment que la lumière soit bonne. Il comprenait le fonctionnement physique des ombres et de la lumière. Ce n’est pas la lumière qui le faisait voir les choses, ce sont les choses qui lui faisaient voir la lumière.
Le travail photographique de Robby Müller est resté pendant longtemps inconnu du public. Mais grâce à l’impulsion du réalisateur Steve McQueen et du travail d’Andrea Müller-Schirmer, ses Polaroïds et négatifs sont peu à peu scannés et archivés.
Ce laborieux travail permet à tout amateur de photographie et de cinéma de pouvoir baigner dans la lumière de Robby, de voir le monde à travers sa sensibilité.
À lire aussi :
- NIGHT DRIVE avec Jana Sojka
- L’univers cinématographique du photographe de rue Chris Tzoannou
- Viktor Balaguer et la Street Photography cinématographique