Diplômée de l’école des Gobelins, Charlotte Mano ; photographe parisienne d’adoption ; est spécialisée dans l’art du portrait.
Ses travaux s’articulent autour de plusieurs thématiques : le corps, l’espace, l’obscurité. Ils questionnent le pouvoir de représentation et de transparence de l’image. C’est le cas de sa série Portraire que nous vous présentons aujourd’hui. Des portraits semblables à des peintures, où les modèles sont sublimés par une ambiance bleutée et vaporeuse, le tout sans manipulations numériques.
Découvrez en plus sur cette talentueuse photographe et sa magnifique série à travers notre interview.
Pourriez-vous vous présenter ; comment avez-vous commencé la photographie ?
Je m’appelle Charlotte Mano, j’ai 28 ans et je vis et travaille à Paris. La photographie est arrivée assez tard dans ma vie. J’ai grandi au grand air dans un milieu rural du sud-ouest de la France, pas de télé, pas de cinéma, très peu de culture. Je me suis beaucoup ennuyée jusqu’à l’arrivée d’un caméscope à la maison. J’ai tout de suite été fascinée par l’idée de la capture, de la sauvegarde, de pouvoir revoir une image, observer… Ce caméscope m’a vite été confisqué suite à une cassette où je me suis naïvement filmée nue telle une nymphe des bois… Ce fut le choc pour mes parents et l’interdiction totale. J’ai eu beaucoup de mal à comprendre ce que j’avais pu faire de mal. Puis, à mes 18 ans mon frère m’offrait mon premier appareil photo.
Comment décririez-vous votre style, l'esthétique qui compose votre travail ?
Ma sensibilité me pousse naturellement vers l’humain, l’intime et plus largement la représentation. Je photographie ma famille, mes amis, moi-même, en studio (lieu neutre) ou dans mon village d’enfance. Je ne considère pas la photographie comme le réel, mais bien comme un médium de déréalisation. Ce que je mets en forme ce sont des images mentales, des souvenirs, des apparitions. Voilà pourquoi on retrouve une esthétique vaporeuse, fantomatique ou parfois ésotérique.
J’essaie de troubler le spectateur, de changer le propre de la photographie qui est de montrer : mes personnages ne nous regardent pas (portraire), je photographie dans le noir (visions scotopiques) ou encore il faut parfois poser ses mains sur la photo pour révéler les portraits intimes (blind visions). Un ami m’a fait remarquer que l’anagramme d’image était « magie », c’est ce que je tente d’appliquer plus ou moins.
Vos projets personnels sont souvent très proches de la peinture, et c'est également le cas dans Portraire. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos techniques ? Quelles sont les étapes pour réaliser une photographie comme celles issues de la série Portraire ?
La peinture n’est qu’une représentation de la réalité, idem pour ma vision de la photographie, voilà pourquoi j’aime ce côté pictural. « Portraire » vient de l’ancien français et signifie simplement « dépeindre quelqu’un », ici mes amis, distants, pudiques, vaporeux. Pour cela, je mets un point d’honneur à tout faire à la prise de vue, j’aime l’expérience et user d’artefacts pour arriver à mes fins sans manipulation numérique. Ici dans Portraire ce sont des voilages blancs très fins posés entre le modèle et moi qui aplatissent l’image et donnent cette sensation d’artificialité. Quand la série est exposée, elle est tirée en grand format sur du papier japonais, qui termine de mettre le doute au spectateur : photographie ou peinture ? Personne n’est certain à moins de lire le cartel…
Quelles sont vos influences ?
Mes études de Lettres m’influencent pas mal, surtout la littérature fantastique du XIXeme siècle, un courant qui m’a beaucoup marqué et dont on retrouve des indices dans certaines séries : le doute, l’étrangeté, l’apparition, le fantôme…
Les spectacles vivants (danse, opéra, théâtre, musique) sont une grande source d’inspiration car ils laissent le champ libre à l’imagination et véhiculent des émotions personnelles soudaines, fortes et incontrôlées. Je ne suis pas cinéphile et je n’ai pas de photographe favori, peut-être un comble pour une photographe…
Avez-vous un message ou un conseil pour les personnes qui souhaiteraient se lancer dans la photo ?
Si vous avez la conviction viscérale que ce médium vous anime, foncez !
Mes parents ont toujours été réticents à l’idée que je fasse ce métier qu’ils ne considèrent d’ailleurs pas comme tel. Je suis heureuse d’avoir fait l’école des Gobelins et de me battre tous les jours pour vivre de ma passion. Ce n’est pas tous les jours marrant mais je ne regrette rien. Car attention, il ne faut pas se leurrer, la photographie n’est pas une voie simple, il faut s’armer de patience et de persévérance !
À LIRE AUSSI
- Vivienne Mok : La photographe à l’univers onirique
- Les mystérieux portraits fleuris de Maren Klemp
- Les portraits d’enfants poétiques et fantastiques de Małgorzata Sulewska
- Entre visible et invisible, découvrez l’univers poétique des portraits de Nsiries