Que signifie être une jeune femme arabe palestinienne en Israël de nos jours? C’est une des questions à laquelle Iris Hassid a tenté de répondre à travers son projet « A Place of Our Own ».

Iris Hassid est une artiste et photographe israélienne vivant à Tel Aviv. En tant que membre d’une famille du service diplomatique, elle a grandi à Bangkok, Singapour, Londres et Tel Aviv. Cette expérience de vie a eu un grand impact sur son travail. Elle a étudié les sciences politiques à l’université de Tel Aviv, et la photographie à l’école des arts Camera Obscura à Tel Aviv, et elle est titulaire d’un Master of Fine Arts de l’université de Haïfa. Un parcours qui fait sens lorsque l’on découvre ses travaux photographiques.

Je travaille souvent avec des communautés pour créer des œuvres sur des projets à long terme, explorant les questions d’identité, de culture et de symboles, de représentation, d’extranéité et d’appartenance, principalement d’adolescentes et de jeunes femmes dans des périodes de transition dans leur vie.

Les relations et les collaborations avec les sujets de mes photographies constituent la base de mon travail.

Iris Hassid

A Place of our Own
A Place of our Own © Iris Hassid

Pouvez-vous nous présenter votre projet « A Place of Our Own » ?

« A Place of Our Own » suit le quotidien de quatre jeunes femmes arabes palestiniennes, citoyennes d’Israël ; vivant dans mon quartier très juif de Ramat Aviv tout en fréquentant l’Université de Tel Aviv ; dans leurs routines quotidiennes et les prochaines étapes de leur vie, entre 2014-2020, en les photographiant et en discutant de leurs ambitions, de leurs amitiés, de leurs familles et de leur engagement politico-social.

Samar (fraîchement diplômée d’une école de cinéma) de Nazareth, sa cousine Saja (étudiant la psychologie) également de Nazareth, Majdoleen (étudiant l’architecture) de Kafr Kanna, et Aya (étudiant le travail social et les études de genre), de Kafr Qara.

J’ai rencontré Samar en 2014.

Elle venait d’être diplômée de l’Académie du cinéma et de la télévision de l’Université de Tel Aviv, et vivait à Ramat Aviv, Samar m’a présenté sa cousine et ses amis ; c’est de cette façon que ce projet de six ans a commencé.

Nous nous rencontrions tous les quelques mois, généralement après de longues tentatives de ma part pour coordonner une rencontre. Leurs emplois du temps, entre études, travail et loisirs, étaient très serrés, et elles n’étaient pas toujours d’humeur à être photographiées. J’avais une idée générale du lieu de la rencontre, elles apportaient quelques vêtements et nous commencions. Je les photographiais parfois seule, parfois par deux ou en groupe.

Nous avons progressivement établi des relations et contacts personnels. De cette manière, j’ai pu entrevoir leur monde et finalement développer un projet dans lequel elles étaient devenus des partenaires.

Ma monographie « A Place of Our Own » a été publiée en 2020 par les éditions Schilt. Le livre comprend une centaine de photographies et est complété par des textes basés sur des fragments de conversations spontanées et stimulantes que nous avons eues au fil des ans ; en arabe, en hébreu et en anglais.

Pourquoi avez-vous choisi de photographier ces femmes pendant ces 6 années, et pourquoi tout particulièrement des femmes ?

Je vis dans le quartier de Ramat Aviv, où se trouve l’université de Tel Aviv, depuis mon adolescence. Il y a une dizaine d’années, j’ai commencé à remarquer un afflux de jeunes femmes arabes dans la rue et le quartier, des étudiantes venues étudier à l’université de Tel Aviv. Celle-ci a été construite sur les ruines du village palestinien de Sheikh Munis, évacué pendant la guerre d’indépendance de 1948 pour la création d’Israël.

Elles viennent des villes et villages d’Israël peuplés d’Arabes ; des communautés plus conservatrices où elles ont grandi ; pour arriver à Tel Aviv une ville plus centrée sur les Juifs.

Elles sont fières de leurs racines palestiniennes, même si elles sont appelées Arabes Israéliennes et non Palestiniennes en Israël.

Plusieurs étaient des femmes religieuses, portant le hijab, et d’autres étaient laïques et pouvaient être reconnues parce qu’elles parlaient arabe et non hébreu. Je les voyais marcher seules ou en petits groupes – un nouveau signe d’indépendance. Elles vivaient dans des dortoirs universitaires ou des appartements loués, portant des valises le week-end pour rentrer chez elles ; à environ deux heures de route.

A Place of our Own
A Place of our Own © Iris Hassid

Il était intriguant et rafraîchissant d’entendre dans les rues de mon quartier l’arabe parlé par une nouvelle génération. Des jeunes femmes sûres d’elles-mêmes et si différentes de la façon dont elles sont présentées dans les médias.

Elles arrivent pleines d’espoir et de rêves de liberté, vivant pour la première fois loin de chez elles ; mais en même temps, parler arabe dans les rues plutôt qu’hébreu suscite des regards.

Je me suis demandé pourquoi il était étrange d’entendre de l’arabe dans les rues de Tel Aviv, contrairement aux villes mixtes telle que Jérusalem. Pourquoi étiqueter les gens selon leur langue, leur nom, leur accent, leur apparence et leur nationalité ?

 

Les Palestiniens arabes citoyens d’Israël représentent environ 20 % de la population d’Israël. La plupart vivent dans le nord d’Israël, dans des villes arabes. Et il y a quelques villes mixtes comme Jérusalem, Haïfa, Jaffa et Lod.

Mes projets portent sur l’identité et la culture, l’idée de la féminité, les groupes et les communautés de femmes.

Il m’a donc semblé naturel d’approcher les femmes palestiniennes du quartier et de présenter ces jeunes, en fin d’adolescence ou au début de la vingtaine, qui vivent seules, loin de chez elles. Je voulais explorer leur vie. Demander ce que signifie être une jeune femme arabe vivant seule, et montrer ce que j’ai vu : les difficultés de la vie ici à Tel Aviv, loin de leur communauté protectrice, dans cette réalité complexe et à multiples facettes.

A Place of our Own
A Place of our Own © Iris Hassid

Quel message souhaitiez-vous faire passer à travers « A Place of Our Own » ?

À travers cette série, je m’interroge sur la place de ces femmes dans les sociétés israélienne et palestinienne ; et sur la relation que j’entretiens, en tant que juive israélienne, avec ces jeunes femmes palestiniennes. Ensemble, nous avons exploré des questions sur l’identité, les espoirs et les rêves, le jeune âge adulte, la représentation et l’appartenance, soulevant plus de questions que de réponses sur l’endroit où nous vivons ; et sur ce que cela signifie d’être une jeune femme arabe palestinienne en Israël.

Les jeunes femmes photographiées et moi-même voulions subvertir l’image et le stéréotype de la femme arabe ; tendre un miroir et refléter aux Juifs israéliens leurs idées préconçues, et ce de manière universelle.

A Place of our Own
A Place of our Own © Iris Hassid

Je veux que les lecteurs et les spectateurs apprécient ces œuvres, qu’ils imaginent la vie des jeunes femmes et leur relation avec moi, la photographe. Je veux qu’ils réfléchissent à leur propre vie, qu’ils soient émus et intrigués, et qu’ils soulèvent des questions et des réflexions.

Elles mettent en lumière l’expérience personnelle, la conscience politique, la vision du monde, les défis et les aspirations de jeunes femmes à l’identité divisée vivant dans une réalité compliquée. Ce sont des jeunes femmes impressionnantes, ambitieuses, politiquement conscientes et féministes qui souhaitent laisser leur empreinte dans la société. Leur histoire présente l’image d’une réalité multicouche, humaine et intime, avec une charge historique, sociale et politique.

Le livre « A Place of Our Own » a été publié en 2020 à l’issue du projet. Quel accueil avez-vous reçu ?

J’ai reçu beaucoup d’intérêt de la part de la presse dans le monde entier. Des articles ont été publiés dans The Guardian, le Times, et d’autres encore, ainsi que dans les principaux journaux en Israël, et sur des blogs.

L’accueil le plus gratifiant et le plus étonnant que j’ai reçu a été celui du Musée juif d’Amsterdam. J’ai été invité à y exposer le projet et ils ont parrainé trois courts métrages pour l’exposition.

L’exposition a été inaugurée le 24 juin 2022, et nous avons toutes été invitées à l’ouverture ; les jeunes femmes, la protagoniste du projet et moi-même. Elles sont venues avec leurs familles, et ce fut une belle clôture pour le livre et le projet.

A Place of our Own
A Place of our Own © Iris Hassid

Enfin, si vous aviez un conseil à donner à un.e jeune photographe, quel serait-il ?

Le conseil que je donnerais à un jeune photographe est d’écouter son intuition sur les sujets qui l’intéressent et qu’il a envie de représenter et de photographier. Parlez-en avec d’autres personnes, jusqu’à ce que vous sentiez que vous devez réaliser le projet et prenez des photos. Lorsque vous en parlez avec d’autres, c’est un engagement, et ne vous laissez pas décourager par d’autres opinions à ce sujet.

Commencez, et ensuite vous devez continuer, c’est comme ça que ça marche.

Je vous conseille de travailler avec un mentor, ou de participer à des programmes spéciaux qui ont un mentor.

A Place of our Own
A Place of our Own © Iris Hassid

« A Place of Our Own » est présenté au Musée juif d’Amsterdam jusqu’au 29 septembre 2023

 

Le livre A Place of Our Own

A Place of our Own
La photographe Iris Hassid

Iris Hassid : SiteInstagram – Facebook

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