C’est après deux années d’études en psychologie que Clélia Odette ressent le besoin d’exprimer une réalité qu’elle décelait dans le champs des représentations de la femme. Plus qu’un désir artistique, Clélia perçoit la nécessité d’aller à l’encontre des images que l’on consomme quotidiennement. Désireuse d’étudier le cinéma, c’est pourtant vers la photographie que la vie la mène. À Bruxelles, elle se forme à la photographie documentaire et hérite la même année d’un Rolleiflex d’un parent. L’appareil devient alors son outil de travail de prédilection, à la fois œil et projecteur de sa perception du monde.
La genèse de Belles Mômes
Le projet « Belles Mômes » commence à fleurir dans l’esprit de Clélia Odette lors d’un trajet de covoiturage. Elle raconte : « Nous étions en hiver, le chauffage était au maximum. Une gynécologue, une retraitée et moi. Assise à l’arrière j’écoutais la conversation. La femme, autrefois avocate, parlait de la ménopause et de ses peines de coeur. Elle racontait qu’elle avait peur que son mari ne la regarde plus et ne la désire plus. Pour ne pas «faire son âge», Sylvie s’était fait tirer les rides et refaire les seins. Cette conversation m’a fait réaliser que pour une femme, vieillir pouvait être une angoisse, un fardeau ».
Regards croisés sur expériences échangées
Le projet ne s’est pourtant lancé qu’au bout d’un an, après qu’une première femme accepte de poser devant l’objectif de Clélia. Puis, grâce à la médiatisation de son projet, de plus en plus s’avancent pour participer. Clélia rencontre ainsi ces femmes, âgées de plus de 50 ans, pour les photographier. À la maison ou bien à l’hôtel, de longues conversations ont lieu entre la photographe et les modèles. L’échange est important — parfois fort, et une liberté totale est accordée aux modèles en ce qui concerne la pose, à l’exception d’une règle : ne pas sourire. Clélia Odette insiste : « face à une camera, le sourire a tendance à devenir une protection. Je cherche un regard sans détour. »
Plus que photographique, le projet est humain. Il ne met pas seulement en avant des corps mais des histoires, exprimées dans chaque ride ou chaque pli. Dans l’imperfection se trouve la beauté et c’est avec assurance que Clélia nous présente cette dernière.
Un regard pour changer les regards
À travers ses photos, Clélia souhaite dénoncer une réalité trop ancrée dans les moralités qui empêche aux femmes de vieillir sereinement. Le regard que l’on porte sur le vieillissement n’est pas le même sur un homme qu’une femme, et c’est de cette injustice que Clélia fait la critique franche : « à une époque où les mouvements pour l’égalité des sexes sont en pleine expansion, je voudrais remettre en question l’influence encore omniprésente du patriarcat sur la perception de notre corps. »
"Les hommes ne vieillissent pas mieux que les femmes; ils ont seulement l'autorisation de vieillir" - Mona Chollet, Sorcières, 2019.
Son travail doit être perçu comme un tout, comprenant l’échange, les interrogations et la prise de vue de ces femmes. Sa photo, bien que portraitiste, se rapproche plutôt du documentaire. C’est le moyen pour Clélia Odette de souligner ce tabou du vieillissement dans l’espoir de déconstruire notre regard.
Mais ce travail documentaire rencontre des obstacles qui ne rendent pas la tâche facile. À l’ère du digital et des réseaux sociaux, un·e artiste se doit souvent de se tourner vers Instagram pour partager ses œuvres. Mais dans un souci de dé-sexualiser la représentation féminine, Clélia se heurte à la censure de la plateforme qui détruit l’enjeu des travaux artistiques comme le sien. « La censure d’Instagram sexualise la femme et donc mon projet », explique-t-elle. « C’est toute une société qui en est impactée. Ça fait vendre, alimente nos complexes et dégrade notre rapport au corps féminin. De plus ce sont en très grande majorité des jeunes femmes qui nous sont montrées quotidiennement, retouchées — certes censurées — mais il n’y pas de représentation de femme âgées, de corps vieillissant naturellement ».
Pour partager son travail, Clélia se tourne alors vers d’autres plateformes comme Patreon, où tout le monde peut percevoir le message de son travail sans que celui-ci ne soit amoindri.
Quel avenir pour Belles Mômes ?
À la recherche de fonds pour faire avancer son projet, Clélia espère pouvoir aller à la rencontre de toutes ces femmes que son projet a touchées. Loin d’être achevé, on ne peut qu’espérer qu’il grandisse et permette à la photographe de collecter les récits et les photos en noir et blanc de femmes du monde entier. Avec pour objectif de faire paraître un livre de ses photos, Clélia compte bien dresser le vrai portrait de la femme de plus de cinquante ans dans le monde.
Clélia Odette — Patreon
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