Nous vivons dans un monde où nos différences ne devraient pas être synonymes de faiblesses. Et pourtant, en ce début de XXIème siècle, les préjugés et jugements sont omniprésents, rabaissant ainsi les personnes qui ne rentrent pas dans le moule imposé par la société. En permanence les gens collent des étiquettes et accablent ce qui semblent pour eux des contradictions.

Portrait Culture queer par Kévin Tran
© Kévin Tran

À l’heure où la société tolère une ignorance qui demeure palpable dans l’esprit du grand public, Kévin Tran, photographe originaire de St Nom la Bretèche dans les Yvelines, condamne les jugements, et honore les différences des uns et des autres. Il célèbre un univers auquel il appartient : le monde Queer.

Par le biais de ses portraits, il dépeint à la fois avec grâce et subtilité toutes les dissemblances de notre société, et en fait une force.  Tantôt européen, tantôt asiatique, tantôt homme, tantôt femme… Kévin fait tomber les codes dictés par une société encore dans le flou sur la culture Queer. Un milieu qui laisse malheureusement perplexe plus d’un.

Entrez dans son intimité, et laissez-vous séduire par un univers sublime, hors du commun.

Bonjour Kevin ! Peux-tu te présenter en quelques mots ? Comment ton amour pour la photographie est-il né ?

Mes parents sont issus de la génération où la photographie a connu un essor démocratique fulgurant. La révolution est venue avec la naissance des premiers jetables. C’était une époque incroyable. Les familles les plus modestes ont eu accès à des outils abordables pour produire des images et des souvenirs. Pendant toute mon enfance, mon père comme ma mère m’ont mitraillé sous tous les angles.  Lamaison était pleine d’albums photos légendés, de pochettes Kodak remplies de tirages et de négatifs.

En primaire, j’ai reçu mon tout premier jetable pour une excursion au zoo de Thoiry. Tout excité, j’ai pris des photos des animaux depuis le car qui traversait le parc. Un jetable et les secousses du car ne faisant pas bon ménage. Les photos étaient toutes ratées. Pendant toute mon adolescence, mon intérêt pour la photographie s’est atténué. Mais j’ai continué à me gaver d’images à travers la télé, les jeux vidéos et surtout les clips de musique et le cinéma. J’étais fasciné par l’image en mouvement et l’esthétique de certains réalisateurs.

A l’âge de 19 ans, je suis allé passé deux mois au Vietnam et au Cambodge avec ma famille. Mon père m’avait acheté un appareil hybride numérique. Sur le chemin d’une visite pour les temples d’Angkor, j’ai remarqué un papillon bleu inerte sur le chemin de terre. J’ai aussitôt dégainé mon appareil pour le prendre en photo et à ce moment précis, un petit mendiant est venu ramasser le papillon pour me le tendre. Il m’a regardé droit dans l’objectif et sans réfléchir j’ai cliqué. C’est ce premier cliché qui a tout déclenché.

Peux-tu nous expliquer ton univers ? Pourquoi mélanger un style très asiatique ? Existe-t-il un message que tu souhaites transmettre aux personnes qui vont admirer tes photos ?

Mon univers se rattache au mouvement queer et underground, car c’est essentiellement dans ces milieux que j’ai commencé à graviter et où j’ai pris une grande quantité de mes clichés. J’aime la simplicité des instants pris sur le vif, en soirée. Je suis fasciné par les gens qui dansent. C’est un lien social incroyablement fort auquel je suis profondément attaché. Paradoxalement, lorsqu’il s’agit de séries plus personnelles, plus travaillées, j’ai tendance à être très baroque dans mon approche. J’aime la surabondance, travailler le détail et la richesse visuelle.

Mon travail consiste à désacraliser tout type d’institutions et d’instances, à bousculer les vieilles traditions qui nous aliènent et qui empêchent le progrès social. Cela passe par la création de nouveaux symboles, de nouvelles représentations, qui je l’espère à travers la force de l’image, finiront par s’imprimer dans les mentalités en lieu et place des anciennes. L’art, c’est pour moi un combat social. En tant que créateurs de symbole nous avons une responsabilité, celui d’ouvrir le monde sur des possibles, de corriger la vision biaisée du réel.

Mes modèles de prédilection sont issus des minorités et des marginalisés. La femme forte et émancipée, l’homme féminin, vulnérable, la beauté de tous les corps, le genderfluid, etc. La liste des combats est longue, mais ce sont des sujets que nous défendons corps et âme avec mes collègues du collectif sansgene !

J’ai commencé depuis un an un grand chantier à travers ma série « GINSANG ». C’est une série très personnelle et intime où je dépeins toute ma construction en tant qu’eurasien queer, issu d’un milieu modeste. J’ai dû me construire en tant qu’asiatique dans un pays occidental, à travers un regard occidental, c’est à dire avec tous ses clichés, tout son racisme et ses préjugés qu’il sous-tend. Je me suis gavé de mangas, de dramas et d’animés. J’ai saigné tout le cinéma chinois, hongkongais, coréen et japonais, dévoré la littérature contemporaine japonaise. J’ai mélangé le tout avec l’héritage de mes racines vietnamiennes et j’en ai tiré une identité hybride composée d’une multitude de cultures d’adoption. Tout ça donne « GINSANG », une sorte d’épopée onirique et fantasmé.

On vit une époque inspirante pour tous ceux qui sont issus des minorités sous-représentées : La rapidité des outils de diffusion de l’information fait qu’on nous donne petit à petit une voix d’expression. A travers ce projet, je veux représenter à mon échelle cette minorité à laquelle je m’identifie qui est une minorité non seulement asiatique mais aussi queer et underground. Dans l’imaginaire collectif des gens, l’asiatique est un modèle de réussite scolaire et de discrétion. Il y a une certaine part de vérité dans ces clichés, l’éducation et les traditions asiatiques sont basés sur le respect des aînés et sur l’humilité. Ce qui m’intéresse, c’est de parler de ces autres asiatiques, ces queers qui ont décidé de briser les tabous et les clichés de leur propre communauté, ces asiatiques marginalisés qui ont décidé de ne pas rentrer dans le moule, qui se sont dressés contre l’absurdité de certaines traditions.

Parlons technique! Quel appareil photo utilises-tu ?

Je suis principalement au Canon A1 depuis que je me suis mis à l’argentique, j’ai pas mal utilisé l’Olympus 35 RC également. Sinon, j’affectionne beaucoup le jetable et j’utilise parfois un Canon 700D lorsque je fais du digital.

Concernant les modèles : tes amis sont une véritable source d’inspiration, n’est-ce-pas ? Peux-tu m’en dire davantage ?

C’est naturel pour un photographe de commencer par photographier ses proches, ils sont la matière la plus accessible, la première source d’inspiration. Le tout premier modèle que j’ai photographié, c’était mon frère et encore aujourd’hui il reste très présent dans mes photos. L’avantage de photographier ses amis, son amoureux ou sa famille c’est qu’on les connaît intimement, en profondeur. Lorsqu’on les photographie, on peut aller chercher directement un sourire en coin, une moue, un tique qu’on connaît par cœur. On va déclencher instinctivement. J’ai appris à aimer la différence quand j’ai appris à ne plus avoir honte de la mienne. Malgré tout ce que j’ai pu me prendre dans la gueule plus jeune. C’est tout naturellement que je m’entoure de gens qui s’affirment dans leur différence.  on a les mêmes blessures, les mêmes traumatismes mais on en a chacun retiré une singularité particulière. C’est cette singularité que j’essaye de sublimer chez eux.

Kévin Tran : Instagram et Tumblr

► Découvrez le collectif sansgene, dans lequel Kévin et ses amis se battent pour que le mot « différence » prenne un sens positif ◀︎

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