Oriane Zérah partage sa vie entre la France et l’Afghanistan depuis plus de dix ans. A travers l’ouvrage « Des roses sous les épines« , elle nous offre une fascinante série de portraits avec comme fil conducteur : la passion que les afghans vouent aux fleurs et qui contraste tant avec la violence qui règne dans le pays.

« Chaque maison afghane est décorée de fleurs : en pots, semées dans un jardin, vraies ou artificielles », explique-t-elle. « Même les check-points policiers ou militaires sont souvent décorés de fleurs. »

Elle souhaite montrer le pouvoir des roses au-delà de leurs épines et offrir une vision inhabituelle d’un pays déchiré par la guerre depuis plus de quarante ans.

A l’occasion de la parution « Des roses sous les épines » publié aux éditions Images Plurielles le 17 mars dernier, Oriane Zérah a accepté de répondre à quelques questions dans le cadre d’une interview à découvrir ci-dessous.

Des roses sous les épines de Oriane Zérah

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous tourner vers l‘Afghanistan en 2011 ? Et qu’est-ce qui vous a poussé à y rester ?

En fait, je me considère toujours comme une voyageuse avant d’être photographe ou écrivain ou quoi que ce soit d’ailleurs et j’ai beaucoup voyagé dans le monde. J’ai principalement été en Inde, beaucoup au Pakistan également, et j’avais une fascination pour l’Afghanistan. Un jour, j’ai franchi la frontière et c’était fait.

J’ai eu une sorte du coup de cœur pour ce pays. J’y ai passé un mois, puis je suis revenu quelques mois après pour trois mois et j’y suis finalement restée trois ans et demi. Je ne suis pas la première, mais j’avais une fascination qui était nourrie par des photos que j’avais vues ; sans doute par Les cavaliers de Joseph Kessel. Voilà, après la réalité s’est avérée être différente, mais différente dans le sens où j’ai aimé ce pays pour des raisons qui sont devenues les miennes. Et non plus à cause de cet imaginaire et de ce que j’avais pu projeter en voyant les photos des autres, en lisant des livres.

Après, je n’arrive toujours pas à expliquer pourquoi j’aime autant l’Afghanistan et j’aime laisser une part de mystère et ne pas pouvoir mettre des mots. Il y a quelque chose pour moi qui est de l’ordre de l’amour, et en amour il y a quelque chose d’inexplicable.

Des roses sous les épines de Oriane Zérah
© Oriane Zérah

Des roses sous les épines, cette opposition entre la douceur des fleurs et la violence qui règne dans le pays est très étonnante. Avez-vous rencontré des difficultés en tant que femme ?

Je n’ai pas rencontré de difficulté en tant que femme. Car il faut savoir qu’en tant que femme étrangère je n’ai pas du tout le même statut que les femmes afghanes. Ce n’était pas le cas avant les talibans et cela l’est encore moins à présent. Cela l’est encore moins dans le sens où il y a beaucoup plus de restrictions pour les femmes afghanes depuis que les talibans sont au pouvoir. Donc mon statut dénote d’autant plus, mais c’était déjà le cas. Je n’ai ni le statut d’une femme ni celui d’un homme. Je suis ce troisième genre que connaissent bien les journalistes, les photo-journalistes ou les photographes qui ont voyagé dans des pays où sont présents des systèmes patriarcaux, très forts et avec très peu de femmes dehors. En fait, nous ne sommes pas considérés comme un homme bien sûr, mais pas considérés comme une femme non plus. On ne rentre absolument pas dans “ce que devrait être une femme”. Enfin dans les critères de ce que devrait être une femme dans ces pays, là notamment en Afghanistan. Cela m’a donc toujours plus aidé d’être une femme. J’ai accès au monde des femmes et j’ai aussi accès au monde des hommes. Évidemment en étant très couverte, en posant les choses assez clairement dès le début et en mettant une distance.

J’ai remarqué une sorte de curiosité chez les hommes qui tout d’un coup ont la possibilité d’échanger avec une femme qui n’est ni leur mère, ni leur sœur, ni leur femme, ni leur fille. Donc mon statut de femme, et encore une fois de femme étrangère, j’ai conscience à quel point c’est un statut privilégié. D’autant plus aujourd’hui. Moi, j’ai le droit de faire mon travail. Je peux continuer à voyager seule. Ce qui n’est plus le cas des femmes afghanes.

Des roses sous les épines de Oriane Zérah
© Oriane Zérah

Comment vous y êtes-vous prise pour réaliser ce projet ? Comment avez-vous abordé les personnes que vous avez photographiées ? Connaissiez-vous ces personnes ?

C’est un projet qui s’est fait très en douceur et très simplement. Les hommes afghans adorent poser. C’est d’ailleurs pour ça qu’il y a peu de femmes afghanes dans le livre.

Les femmes afghanes, c’est très difficile de les avoir et d’autant plus dans l’espace public. Les quelques femmes que j’ai fait poser, je les connaissais presque toutes alors que les hommes, je pouvais en aborder certains dans la rue. Je me baladais avec des fleurs et dès que je voyais un fond, dès que je sentais qu’il y avait une photogénie, une belle lumière, un moment de grâce, j’arrêtais des gens et ils posaient pour moi. Il y a également des personnes que je connaissais, mais peu.

En fait, la majorité des hommes qui ont posé pour moi, je ne les connaissais pas. Dès que je leur parlais de ce projet, ils étaient touchés et assez heureux. Car l’image que l’on donne de leur pays est toujours – et pour cause – sombre et souvent le réduit le pays à ses tragédies qui sont malheureusement nombreuses. Là, je leur parlais de quelque chose qui touchait profondément à la culture afghane.

Cet amour des fleurs, ce n’est pas une chose que j’ai inventée. C’est une des réalités du pays. D’ailleurs dans les portfolios de tous les photographes qui sont allés en Afghanistan – tels que Roland et Sabrina Michaud qui m’ont inspiré, mais aussi Steve McCurry, Michel Setboun – il y a des photos d’Afghans avec des fleurs. Ce sont souvent une ou deux photos perdues dans le lot alors que moi, j’ai décidé de me concentrer sur cette réalité et d’en faire le sujet de ce livre.

Des roses sous les épines de Oriane Zérah
© Oriane Zérah

Il y a-t-il un portrait qui vous tient particulièrement à cœur dans ce projet ? Si oui lequel ?

C’est celui qui est sur la quatrième de couverture. C’est le portrait qui me tient le plus à cœur, car c’est le premier portrait que j’ai réalisé pour ce projet. C’est d’ailleurs une personne que je connais depuis 12 ans et qui fait partie de ma famille. Je lui ai d’ailleurs offert le livre dès qu’il a été imprimé, il y a quelques mois. J’avais réussi à le faire venir de Paris à Kaboul pour le lui offrir.
On m’a déjà posé cette question et je dois avouer que je suis incapable d’avoir du recul. Il y a tellement de photos qui raconte des histoires et qui me renvoient à des souvenirs différents que je ne pourrais pas vous dire.
En fait, c’est vraiment cette photo de Khan Agha sur ce fond rose que celle à laquelle je tiens particulièrement. C’était le début de ce projet et je ne savais pas du tout où j’allais. Je savais que je voulais parler de l’Afghanistan à travers la relation que les Afghans ont avec les fleurs. Ce qui était extrêmement flou au début et finalement ce projet a pris corps et puis m’a prise moi au cœur, et il est devenu un des axes centraux de ma vie.

Des roses sous les épines de Oriane Zérah
© Oriane Zérah

Souhaitez-vous nous faire part d’une anecdote au sujet de Des roses sous les épines ?

Une anecdote étonnante, c’était sans doute le questionnement de savoir si oui ou non, j’inclurai les talibans dans ce projet. Car quand je suis revenue à Kaboul après avoir été évacuée (j’ai été évacué trois semaines et je suis revenue parce qu’il n’y avait pas de guerre civile et que c’était possible d’être là et de travailler.) j’ai croisé des talibans la fleur au fusil.

Ça a donc été une vraie question : est-ce que je les inclus ou non dans ce projet ? J’en ai parlé à mes amis autour qui m’ont dit “prends les photos, mets les dans tes archives, tu réfléchiras après”. J’ai donc réfléchi longuement. Et la réponse a été simple : ce travail est sur les Afghans et les fleurs, et les talibans sont des Afghans et ils aiment les fleurs.

Et un jour, une amie journaliste a posté une histoire sur Instagram d’un taliban avec une fleur, je lui ai demandé où elle l’avait photographié, et je suis allée le trouver dans Kaboul. C’était quelques semaines après la prise de la capitale. Ses amis postés au même check point, et qui étaient des jeunes combattants qui venaient de débarquer à Kaboul m’ont demandé pourquoi je le cherchais Je leur ai donc montré ce travail sur Instagram qu’ils ont trouvé très beau. Ils sont allés chercher le taliban que la journaliste avait pris en photo. La fleur qu’il avait accrochée à son arme était totalement fanée. Mais il m’a dit de venir le lendemain car il accrochait une fleur fraiche tous les matins. Je suis arrivée le lendemain et ils m’attendaient tous, lui et ses compagnons d’armes, avec des fleurs pour poser. Et c’était un moment totalement surréaliste.

Donc j’ai pris des photos que je n’ai jamais partagées sur les réseaux sociaux, parce que je ne veux pas évidemment faire de la propagande, ou que cela soit mal interprété ou blesser mes amis afghans notamment. Mais cela fait partie des moments où on ne sait plus trop dans quelle réalité on est et on a beaucoup de certitude qui se brise aussi. Et c’est sans doute une des raisons pour lesquelles j’aime l’Afghanistan. Car ce pays ne laisse pas la place aux certitudes.

Des roses sous les épines de Oriane Zérah
© Oriane Zérah

Oriane Zérah : SiteInstagram

Des roses sous les épines aux éditions Images Plurielles 

À LIRE AUSSI :