Surface Tensions est le projet en cours du photographe canadien Peter Bogaczewicz étudiant les effets de l’activité humaine sur les paysages contemporains de la péninsule arabique. La pureté visuelle de l’environnement composé de terres arides aux teintes ocre fait ressortir la moindre intervention humaine comme s’il s’agissait d’un corps étranger. En capturant des routes vides, des voitures abandonnées et des constructions émergentes de paysages arides, Peter souhaite montrer la marque particulièrement visible de l’homme sur l’environnement. Ces images, opposant le naturel à l’artificiel invitent les spectateurs à s’interroger sur la relation entre notre espèce et la planète.

Dans cette région désertique, le progrès, perçu comme une force de la nature, rivalise avec la nature elle-même. L’homme ne témoigne alors d’aucun effort pour dissimuler que la terre est là pour être dominée. Entre tension et harmonie, cette série photo reflète la dichotomie entre histoire et progrèsnature et culturepassé et présent.

Sans plus attendre, découvrez notre interview exclusive avec Peter Bogaczewicz.

Pouvez-vous nous parler un peu de votre inspiration ?

Mon inspiration provient d’expériences personnelles et d’idées que j’ai mûries pendant un certain temps. J’ai toujours été curieux face à la diversité du monde en essayant de la voir le plus possible durant mes explorations. Ces voyages m’ont fait prendre conscience des particularités culturelles liées à des lieux spécifiques et de la manière dont les cultures de ces lieux interagissent avec la nature.

J’ai également une formation en architecture et, dans mon cas, il ne s’agit pas seulement d’un intérêt pour les bâtiments. Toutefois, elle résulte d’une appréciation générale de la façon dont les humains modifient l’environnement naturel pour répondre à leurs besoins. Il s’agit d’un processus inventif et créatif sans fin qui est parfois sensible et respectueux de la nature et d’autres fois tout l’inverse. Voir des approches variées de ce processus ne cesse de m’étonner, j’essaye donc de les transposer dans mon travail.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre série de photos ? Pourquoi l’avez-vous appelée « Surface Tensions » ?

La série s’appelle « Surface Tensions » parce que ce que nous pouvons voir à l’œil nu, ou même avec l’objectif d’un appareil photo, les caractéristiques de surface du monde visible. J’essaie de représenter les changements à la surface de la Terre basée sur notre interaction avec la nature. Il existe de nombreux changements de ce type, dont certains ne sont pas visibles à l’œil nu mais déduits. J’ai donc essayé de garder les photos concentrées sur une représentation claire des résultats visibles. Les « tensions » disent le reste, suggérant que ces changements créent une relation difficile et non résolue avec la nature.

Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser cette série de photos ?

En vivant et en voyageant dans la péninsule arabique ces dernières années, j’ai été très frappé par le paysage particulier de cette région plus aride et désertique que d’autres que j’ai pu connaître, et tout aussi frappé par l’attitude différente de ses habitants vis-à-vis de la terre. Alors que les anciennes coutumes de l’Arabie étaient très proches de la nature, les États arabes modernes, avec leur grande puissance et leur richesse pétrolière, ont adopté une approche très dominatrice de la terre, et cette attitude se répercute jusque dans les plus petites interventions.

La tension qui en résulte se répercutera sur l’avenir, et je trouve cela très intéressant à explorer et à méditer. De grandes questions se posent. Sommes-nous en train d’étendre notre domination sur la nature ou s’agit-il simplement du rythme rapide du progrès, qui peut être lourd au départ, mais qui trouvera son équilibre ? J’ai mes théories, mais seul le temps nous le dira.

Est-ce que certaines photos de votre série ont une signification particulière pour vous ?

J’ai une sensibilité plutôt minimaliste, donc les images que j’aime le plus montrent certaines choses de manière vraiment directe et sans complication. Avec ce projet, cela a été assez facile parce que je vois beaucoup de ces exemples de paysages très purs couplés à une intervention très noble. J’ai pris toute une série d’images de terrains en grès taillés pour faire place à des chemins. À première vue, elles ont l’air absurdes et surréalistes, mais elles ne sont que le présage de ce qui va arriver : une première étape dans l’élimination de ces montagnes de grès pour un développement futur. Cependant, je suis très attiré par ces moments intermédiaires, car ils illustrent le contraste saisissant entre un ordre naturel juxtaposé à un ordre créé par l’homme, dont le caractère dramatique résume l’ensemble du projet.

Que pensez-vous de la domination de l’homme sur la terre et son environnement ?

C’est un sujet compliqué. Il est clair que c’est dans notre nature de façonner notre environnement et cela ne changera pas. Je suis moi-même architecte de formation, donc j’y contribue personnellement, à ma façon. Mais il y a des degrés dans la « dominance » de la forme bâtie, et il y a des façons d’aborder notre relation à la nature d’un point de vue sensible et responsable.

Pour moi, le principal problème réside dans l’approche à grande échelle et institutionnalisée du façonnement de l’environnement. Pour protéger l’environnement, il n’y a pas beaucoup de surveillance ou de discours avant-gardiste sur ce qui est responsable aujourd’hui et au-delà de notre époque.

Peter Bogaczewicz : Site – Instagram

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