Extrait du livre « Les secrets de la photo de spectacle » de Sébastien Mathé, publié aux éditions Eyrolles.

Photographier le spectacle vivant est globalement difficile, mais certaines disciplines sont un peu plus accessibles que d’autres. Le rythme des pièces de théâtre et d’opéra est assez lent : pour raconter une histoire et pour que les émotions aient le temps de toucher les spectateurs, des respirations sont nécessaires, la difficulté ne sera donc pas tant dans la gestion de la vitesse d’obturation que dans la précision des compositions.

Votre premier atout sera votre capacité à vous concentrer pour déclencher au moment pertinent. À une fraction de seconde près, un regard deviendra fuyant, l’équilibre entre les protagonistes d’un groupe sera rompu. L’idéal est de réussir à suivre l’intrigue pour s’approcher au mieux des émotions des artistes et s’imprégner profondément du rythme de la narration, afin de sentir le moment où il faut déclencher.

Autre difficulté, la taille des salles : un reportage requiert habituellement à la fois des plans larges et des plans serrés pour rendre compte de la scénographie et des émotions qui traversent les personnages. Vous devrez varier souvent les valeurs de cadre en fonction de votre distance à la scène, et apprécierez la souplesse des zooms pour changer de focale sans changer d’objectif (mes 24-70/2,8 et 70-200/2,8 font merveille dans cette spécialité depuis des années).

 

Les Secrets de la Photo de spectacle par Sébastien Mathé, éditions Eyrolles
Parfois le spectacle est aussi dans la salle, raison de plus pour ne pas négliger le décor et cadrer large. (Iphigénie en Tauride, au Palais Garnier). 24-70 mm à 45 mm, 1 600 ISO, 1/30 s, f/4, Canon 5D.

Attention, se déplacer physiquement et changer de focale joue sur le sentiment d’immersion dans l’image ! Dans les très grandes salles, il pourra s’avérer difficile d’obtenir des portraits serrés, alors que dans les salles plus petites, vous manquerez souvent de recul ; essayez néanmoins d’obtenir un équilibre entre les différentes valeurs de plans, votre reportage n’en sera que plus vivant.

Vous serez aussi confronté à l’obscurité, car l’éclairage scénique peut parfois devenir très faible. La mise au point et l’arrêt des mouvements (absence de filé) pourront alors être difficiles à réaliser, les collimateurs autofocus auront du mal à détecter le sujet et vous serez contraint d’opérer avec une vitesse d’obturation basse (demi-seconde dans des cas extrêmes). J’ai ainsi souvenir d’une scène dans laquelle les comédiens étaient éclairés à la bougie (par chance ils bougeaient peu !) et où j’ai dû employer des réglages un peu inhabituels (f/2,8, 1/4 s, 6 400 ISO). Pour ce genre de cas, des optiques fixes encore plus lumineuses peuvent s’envisager (85 mm ouvrant à f/1,4 par exemple, ou 135 mm/1,8), car même une ouverture à f/2,8 sera parfois insuffisante. En environnement (très) sombre, je vous conseille donc vivement l’emploi d’un trépied pour éviter de bouger pendant la prise de vue.

Malgré l’écoulement tranquille du temps qui caractérise le théâtre et l’opéra, n’oubliez pas qu’une image qui donne envie est aussi, souvent, une image perçue comme « vivante », « animée » :

  • si un interprète s’arrête puis marche sur scène, déclenchez juste avant que son pied arrière ne décolle du sol : pour l’opéra en particulier, cela redonnera un peu d’allant à vos images, car chanter impose un ancrage au sol fort et donc des positions souvent statiques (plus qu’au théâtre)

 

Les Secrets de la Photo de spectacle par Sébastien Mathé, éditions Eyrolles
Cette image, extraite de Un Bal masqué à l’Opéra Bastille, mise en scène Gilbert Deflo, est très statique (statue imposante en pierre, gradins vides, décor froid). J’ai attendu que le chanteur se remette en marche pour l’animer un peu.
70-200 mm à 73 mm, 1 600 ISO, 1/30 s, f/2,8, Canon 5D.
  • très important aussi, la bouche des interprètes : fermée, vous perdrez un peu vie, trop ouverte, le résultat sera souvent disgracieux. L’idéal est la position entrouverte, qui symbolise une forme d’étonnement et de sidération très prisée au théâtre. Pour le lyrique, cette position intermédiaire est encore plus essentielle (c’est même la seule option possible), car à pleine voix la bouche des chanteurs est souvent très ouverte, ce qui les dessert visuellement.

 

Les Secrets de la Photo de spectacle par Sébastien Mathé, éditions Eyrolles
La bouche entrouverte, un repère fiable pour réussir un portrait de chanteur lyrique (La Tosca, à l’Opéra Bastille)
70-200 mm à 130 mm, 1 600 ISO, 1/20 s, f/2,8, Canon 5D

Pour maximiser vos chances de saisir l’instant parfait, vous pourrez déclencher en rafale, mais attention au bruit si des spectateurs sont assis à côté de vous… Pour l’art lyrique plus encore que pour les autres types de spectacles, l’arrivée des boîtiers hybrides totalement silencieux est une révolution. Je vous conseille vivement leur achat si vous envisagez de vous spécialiser dans ce domaine.

Article extrait de l’ouvrage « Les secrets de la photo de spectacle » de Sébastien Mathé, paru aux éditions Eyrolles.

 

Les Secrets de la Photo de spectacle par Sébastien Mathé, éditions Eyrolles
Photos première de couverture : (haut) Ichikawa Ebizō XI dans Kanjincho, au Palais Garnier en 2007 © Sébastien Mathé – Opéra national de Paris / (bas) Les danseurs de l’Opéra national de Paris dans Le Sacre du Printemps, de Pina Bausch, au Palais Garnier en 2010 © Sébastien Mathé – Opéra national de Paris

Éditions Eyrolles : Site – Sébastien Mathé : Site

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