Le photographe Nick Brandt est né et a grandi à Londres. Il y a étudié la peinture et le cinéma. Aujourd’hui, Nick vit dans les montagnes du sud de la Californie. Ce n’est que passé la trentaine qu’il se rend compte que la photographie est pour lui le meilleur moyen de s’exprimer. Spectateur bouleversé face à la situation environnementale et au monde naturel en proie à une destruction massive par l’Homme ; il utilise son appareil photo pour exprimer ses sentiments face à cette catastrophe plus si lointaine. Il photographie alors les animaux sauvages d’Afrique ; dont les images constitueront ses séries Inherit the Dust (2016) et This Empty World (2019) portant sur la perte d’habitat et de biodiversité. Sa série The Day May Break aborde quant à elle le changement climatique dans son ensemble ; qui ne s’arrête pas au monde animal mais qui impacte chaque créature vivante de la planète.
The Day May Break
Le premier volet de la série The Day May Break s’est achevé en 2021. Cette première partie est consacrée à des personnes et des animaux durement touchés par la destruction de l’environnement et le dérèglement climatique au Zimbabwe et au Kenya. Les images ont été prises au coeur de cinq sanctuaires ; dans lesquels les animaux trouvent refuge et sont sauvés sur le long terme. En raison de la menace qui pèse quotidiennement sur eux dans la région, ils ne peuvent retourner à la vie sauvage. Désormais habitués à la présence humaine, Nick Brandt a pu les photographier aux côtés d’hommes et de femmes qui partagent les mêmes blessures ; tous étant des victimes du changement climatique. Des portraits bouleversants, qui illustrent malheureusement une bien triste réalité.
Parmi ces personnes, certaines ont vu leurs maisons détruites par des cyclones, leurs enfants emportés par les inondations, leurs terres victimes des années de sécheresse sévère vouées à l’abandon. L’ironie du sort veut que ces personnes ; aujourd’hui les plus vulnérables ; fassent pourtant partie de celles qui ont le plus faible impact environnemental sur la planète. Elles sont pourtant les premières victimes du monde industriel et de la destruction de notre Terre.
Les images de Nick Brandt sont exposées à travers le monde ; faisant ainsi résonner la réalité du changement climatique et de la destruction du monde naturel de New York à Londres, de Los Angeles à Paris, de Berlin à Stockholm.
Découvrez notre interview exclusive du photographe Nick Brandt ; qui nous parle du premier chapitre d’une série mondiale, The Day May Break.
Tout d’abord, pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont la photographie est venue à vous ?
J’ai réalisé, bien trop tard dans ma vie (au milieu de la trentaine), que c’était le meilleur moyen créatif pour moi d’exprimer mes sentiments sur l’environnement et le monde naturel et leur destruction par l’homme. Par rapport au cinéma, par exemple, la photographie permet généralement de créer ce que l’on veut, comme on veut, quand on veut.
Comment ce projet est-il né dans votre esprit avant d’être concrètement mis en place ?
En général, j’ai un sentiment qui se construit en moi depuis un certain temps. Dans le cas de The Day May Break, ce sentiment que le monde naturel que nous avons connu est en train de disparaître rapidement. Que cela a un impact non seulement sur le monde animal, mais aussi sur nous tous. Et que nous sommes tous ensemble sur cette unique petite planète très limitée. Cette notion s’est ensuite manifestée dans l’idée du brouillard, en photographiant tout dans celui-ci, symbole de cette disparition. Et que les personnes et les animaux affectés par cette destruction, devaient être photographiés ensemble.
Pourquoi avez-vous choisi ces deux pays, le Kenya et le Zimbabwe, en particulier ?
Ce projet est global. Je viens de terminer le deuxième chapitre en Bolivie. Mais au cours de la première année du covid, avant l’arrivée des vaccins, certains pays d’Afrique étaient les seuls auxquels je pouvais accéder. Heureusement, l’un d’entre eux était le Kenya. J’y ai photographié tant de projets dans le passé (Inherit the Dust, This Empty World), je le connaissais donc très bien. Puis le Zimbabwe s’est heureusement ouvert juste à temps.
Les animaux que vous photographiez ont tous une histoire particulière, pouvez-vous nous dire lequel vous a le plus touché ou frappé (s’il y en a un) et pour quelle(s) raison(s) ?
Celui qui m’a le plus touché est peut-être l’une des personnes, pas l’un des animaux, Kuda du Zimbabwe. Après les tournages, lorsque nous avons interviewé tout le monde devant la caméra et que nous leur avons demandé s’ils voulaient bien nous raconter leur histoire. Je ne savais pas si j’utiliserais un jour ces histoires sous forme de vidéo, mais je voulais les avoir au cas où. C’est en racontant ces histoires que nous avons entendu tant de récits déchirants. De nombreuses personnes étaient manifestement encore traumatisées et ont fondu en larmes.
Kuda, du Zimbabwe [photo ci-dessous], s’exprimait en shona, sa langue maternelle. Elle a décrit, en pleurant à chaudes larmes, comment elle avait vu ses enfants emportés par les inondations, sans jamais être retrouvés. Mais vers la fin, Kuda est passée à l’anglais et a dit : « Mais ne vous inquiétez pas pour moi. Je vais bien maintenant. Ma vie est comme une banane fraîchement mûrie ». Je pense qu’elle voulait dire par là qu’elle était prête à vivre à nouveau, à faire de nouvelles expériences. C’est une femme qui a tout perdu, qui se trouve maintenant dans un camp de réfugiés déplacés, et qui a la force et la volonté d’être prête à aller de l’avant.
Sur une note positive, un collectionneur de cette photographie a fait un don suffisant pour aider Kuda à construire une partie de sa nouvelle maison. En outre, un pourcentage du produit de la vente des tirages est réparti équitablement entre toutes les personnes figurant sur les photos, une sorte de paiement de redevances.
Comment avez-vous choisi quel animal photographier avec quelle personne ?
Au feeling, à défaut d’une meilleure explication. Chaque semaine, j’avais toujours une dizaine de personnes parmi lesquelles je pouvais choisir qui essayer avec chaque animal. Habituellement, j’avais une idée précise de la personne qui, selon moi, fonctionnerait bien, et généralement… je me trompais. Mais il est toujours fascinant d’essayer différentes personnes jusqu’à ce que la bonne combinaison fasse tilt (même si, comme dans toute chose, on se rend parfois compte après coup que ce n’était pas le cas).
Que représente pour vous la photographie en noir et blanc ? Que pensez-vous qu’elle apporte à votre projet ?
Je préfère la façon dont le noir et blanc contribue à créer une ambiance plus sombre, plus mélancolique, qui correspond pour moi au concept et au sujet. Et d’un point de vue purement esthétique, je préfère simplement le noir et blanc pour la façon dont il réduit le cadre à l’essentiel et m’oblige à me concentrer sur les formes graphiques et la composition dans le cadre.
Ces images sont la première partie de votre projet, quelle sera la prochaine étape ?
Le deuxième chapitre a déjà été photographié, en Bolivie, en février et mars de cette année. L’œuvre sort en septembre avec des expositions à New York et Shanghai. Puis le livre sera publié au printemps 2023. Si tout va bien, j’espère pouvoir commencer à travailler sur le chapitre 3 à ce moment-là également.
Vous avez cofondé la fondation Big Life, qui protège l’écosystème d’une vaste zone située entre le Kenya et la Tanzanie. D’où vient ce projet ? Pourquoi pensez-vous qu’il est important de travailler main dans la main avec les communautés locales ?
Je n’aurais jamais imaginé créer une organisation à but non lucratif. Mais le niveau de braconnage des éléphants dans l’écosystème d’Amboseli était tel en 2010 ; et peu d’organisations existantes étant en mesure d’y mettre fin faute de ressources ; que je me suis senti obligé de faire quelque chose. J’ai donc cofondé la fondation Big Life avec Richard Bonham, un brillant défenseur de l’environnement local. Au départ, j’ai pu récolter beaucoup de fonds auprès de généreux collectionneurs de mes photos. Nous nous sommes progressivement développés à partir de là.
Douze ans plus tard, Big Life protège plus de 1,6 million d’hectares avec 350 gardes communautaires locaux répartis dans 36 postes avancés permanents et mobiles. Avec l’aide de plusieurs véhicules de patrouille, de chiens pisteurs, d’équipements de vision nocturne et de surveillance aérienne, ce nouveau niveau de protection coordonnée de l’écosystème a entraîné une réduction spectaculaire du braconnage de TOUS les animaux de la région, avec de nombreuses arrestations de certains des braconniers les plus prolifiques.
Et pour répondre à votre deuxième question, ce succès n’a été possible qu’avec le soutien des communautés locales. La philosophie de Big Life est que si la conservation soutient la communauté, alors la communauté soutiendra la conservation. Presque tout le personnel de Big Life est employé localement. Il y a aussi le programme de compensation pour les éleveurs dont le bétail est tué par des prédateurs locaux. Il y a 100 kilomètres de clôture électrifiée pour protéger les cultures des agriculteurs contre le piétinement par les éléphants. Et puis il y a les bourses d’études. Tout cela a permis aux communautés locales de soutenir les efforts de conservation. C’est vraiment la seule façon de progresser dans les zones de plus en plus peuplées de l’Afrique du XXIe siècle.
Quelle est votre vision de l’avenir pour les hommes et les animaux ? Avez-vous encore de l’espoir face à la dégradation massive de l’environnement et du monde naturel ?
Nous vivons actuellement l’antithèse de la création. Il a fallu des milliards d’années pour parvenir à une diversité aussi merveilleuse, puis quelques années seulement – un instant infiniment microscopique – pour l’anéantir.
J’énonce une évidence, mais il faut la répéter sans cesse : en détruisant la nature, nous finirons aussi par nous détruire nous-mêmes. Un monde naturel sain est essentiel au bien-être de toute l’humanité.
L’homme moderne, partout sur la planète, semble avoir peu appris de ce qui l’a précédé. L’histoire est jalonnée de l’effondrement de civilisations antérieures qui ont imposé un fardeau bien trop lourd à la nature environnante. Aujourd’hui, alors que nous sommes beaucoup plus nombreux et que notre impact est beaucoup plus vaste, ce n’est pas « seulement » une région qui est détruite comme par le passé. Si les tendances actuelles se poursuivent, la destruction peut et va s’amplifier jusqu’à l’effondrement écologique – et donc civilisationnel – de notre planète entière.
Tout cela peut sembler accablant. Comment peut-on commencer à se défendre ? Je reviens à la phrase que j’utilise sans cesse, parce que tout simplement, je la crois : Il est préférable d’être en colère et actif que d’être en colère et passif. Une fois que vous êtes actif, le désespoir est moins écrasant. Vos actions – aussi petites soient-elles – peuvent vous dynamiser et vous concentrer.
Lorsque les gens me demandent ce qu’ils peuvent faire pour aider, je leur réponds souvent simplement deux mots : Greta Thunberg. Si une jeune fille seule dans une rue de Stockholm avec une pancarte peut accomplir ce qu’elle a fait, alors… allons-y…
Le jour peut se lever… sur une terre en ruine. Ou le jour peut se lever… sur une nouvelle aube.
Le choix de l’humanité. Notre choix.
Nick Brandt : Site – Instagram – Facebook – Fondation Big Life
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