Le photographe Sébastien Fortin trouve dans la nuit un véritable terrain de jeu photographique. Après s’être épanoui dans la photographie URBEX, Sébastien Fortin s’est tourné vers le charme envoûtant de la nuit. Lumières, néons, ombres et silhouettes énigmatiques deviennent ainsi complices de ses créations. Chaque photo laisse libre cours à notre propre imagination. Quelle histoire se cache derrière l’image ? Qui est cette personne dont nous ne voyons que l’ombre dans l’obscurité ? Que souhaite transmettre le photographe à travers son objectif ? Sur fond d’ambiance cinématographique, l’artiste réalise des photographies de nuit saisissantes. Frappés par l’atmosphère et l’esthétique de ses images, nous avons alors souhaité en savoir plus sur le travail de Sébastien et ses inspirations.
Découvrez tout de suite notre interview exclusive du photographe Sébastien Fortin.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ? Comment êtes-vous devenu photographe ?
J’ai toujours aimé la photographie, cette manière de se raconter des histoires, voire de se faire son cinéma le temps d’un clic, puis de les partager. Curieux de nature c’est avec l’URBEX (exploration urbaine) que j’ai commencé à m’intéresser sérieusement à la photographie, après être venu immigrer à Montréal où je n’ai pas grandit. Je me suis inventé une seconde jeunesse en fouillant le passé abandonné de cette ville. La mise en scène des lieux et des artefacts se sont présentés à moi naturellement ! J’ai alors imaginé des histoires ayant pu s’y dérouler, et immortalisé un passé méconnu.
Les lieux abandonnés sont devenus de plus en plus rares, j’ai alors orienté ce désir de raconter d’autres histoires avec la photographie de rue nocturne.
Pourquoi la nuit ? Qu'est-ce que vous aimez dans la pratique de la photographie de nuit ?
J’aime tout ce que le monde de la nuit peut offrir ou presque ; que ce soit la quiétude ou le silence, comme l’adrénaline que suscite une ruelle un peu trop sombre, mais rien de trop interlope. À contrario, une rue trop animée la nuit n’a aucun intérêt, à moins de pouvoir isoler qu’une seule âme.
J’aime m’aventurer lors de mes sorties nocturnes pour laisser mon regard vagabond offrir les mystères d’un imaginaire de lieux ordinaires vus sous un angle cinématographique. Et c’est lorsque je déniche une scène au hasard d’une rue digne d’un film noir, de voir l’espace différemment du jour et de composer avec, d’écrire avec la lumière, et de trouver un titre, que vient l’ultime moment, le clic !
On retrouve une atmosphère cinématographique commune à vos photographies, quelles sont vos inspirations ?
Je puise mes inspirations dans le cinéma, notamment dans les films noirs des années 1940 et 1950, où l’éclairage dramatique et les ombres créent une atmosphère mystérieuse et captivante. Des réalisateurs comme Fritz Lang, Billy Wilder et Alfred Hitchcock ont souvent utilisé des scènes de rue nocturnes pour renforcer le suspense et l’ambiance. Les cinéastes contemporains comme David Fincher et Christopher Nolan ont également exploré la photographie de rue la nuit pour créer des mondes visuellement riches et immersifs dans leurs films.
J’apprécie particulièrement le travail photographique en argentique des années 1970 de Fred Herzog, Joël Meyerowitz, Ernst Haas, Stephen Shore, William Eggleston, Todd Hido, Saul Leiter, Vivian Maier et Hellen Levitt ainsi que la lumière très inspirante du peintre Edward Hopper.
Techniquement, comment prenez-vous vos photos ? Quelles sont les étapes du processus créatif pour arriver au résultat final ? Quel matériel utilisez-vous ?
J’ai deux approches bien distinctes dans mon travail. Celle spontanée ou rien n’est imaginé d’avance et où je compose avec mon environnement et puis celle où je décide à l’avance d’une quasi mise en scène. Je dis quasi car tout n’est jamais totalement orchestré. Le plus souvent ce sera un lieu qui me parle et que je connais, dans lequel je vais prendre le temps de composer avec la lumière et les détails et enfin attendre qu’une silhouette fantomatique veuille bien se présenter, en espérant le tout stimulant pour l’imaginaire du spectateur.
La séance photo mise en scène se prépare en amont. Emprunt d’une vision cinématographique, j’aime voir et revoir certains films et apprendre du travail de tel ou tel réalisateur pour ensuite m’en inspirer librement. Je ne cherche pas à copier pour autant et j’aime mélanger plusieurs univers.
Quand à la séance spontanée, je me laisse totalement porter par l’instinct, où la nuit se fait introspective, en invitant dans mes traces hasardeuses le spectateur.
Que ce soit l’une ou l’autre des façons de faire, l’important est que la photo soit d’une belle sensibilité esthétique et émotionnelle et offre une carte blanche aux spectateurs et à leur imagination, entre sens et existence, afin qu’ils puissent être à même d’écrire leur histoire dans mon histoire…
Toutes mes photos sont prises au format RAW ce qui me permet par la suite, en post-production, d’exploiter plus finement les tonalités pour créer l’ambiance désirée. Une étape cruciale sans laquelle l’histoire racontée ne serait pas la même.
J’utilise un boîtier reflex plein format que j’associe avec deux lentilles : 24-70 mm f:2.8 et 70-200 mm f:2.8 pour de plus grandes plages focales à grande ouverture constante, me permettant ainsi de laisser entrer plus de lumière la nuit
Y a-t-il une photographie qui vous tient particulièrement à coeur ? Si oui, pour quelle(s) raison(s)
Celle de l’homme se tenant debout dans la cabine téléphonique, la main posée contre la vitre. La nuit est souvent associée à l’obscurité morale et à la noirceur psychologique. À travers cette composition j’ai souhaité explorer l’enfermement de soi dans la solitude et la mélancolie, en traitant des thèmes comme la dualité, le conflit et le mystère.