Maxime Daviron est passionné de photographie et d’orages. Bien que l’envie de lier ses deux passions lui apparaisse rapidement comme une évidence ; il attend plusieurs années avant de concrétiser ce projet. Il lui a fallu acquérir l’expérience nécessaire, en montagne comme en photographie, afin de capturer, le plus fidèlement possible, ces scènes dont il est un témoin privilégié. Photographe professionnel, il part ainsi à la découverte de lieux naturels grandioses, qu’il fige dans leurs jours les plus survoltés. Ces images reconnaissent une place centrale à la Nature et son univers s’inscrit dans des ambiances surréalistes et oniriques. Cette série nocturne, ramification de « Terres Perdues » est aussi impressionnante que fascinante, et nous plonge au coeur de la tempête.
Nous sommes partis à la rencontre de Maxime, afin d’en savoir plus sur son univers photographique.
Pour commencer, pouvez-vous nous en dire plus sur vous et votre parcours ? Comment et pourquoi avez-vous commencé la photographie ?
Aussi loin que je me souvienne, la photographie a toujours occupé une place importante dans ma vie. Enfant, la moindre occasion était bonne pour traîner avec moi un appareil jetable de 36 poses (quand ça n’était pas le Kodak automatique de mes parents). La suite logique était donc le passage au numérique. Au départ sur quelques bridges Fujifilm. Mais le véritable déclic arriva dans la seconde moitié des années 2000, avec la naissance de ma passion pour les orages. Si je me contentais au début de les filmer, l’envie de figer la foudre sur une image fixe devint vite plus grande, me poussant à acquérir mon premier réflex à l’été 2008.
En parallèle des orages, j’ai alors commencé à chercher quelque chose de plus que le simple aspect « témoignage » de la photographie. C’est ainsi que s’est peu à peu formé l’embryon d’une démarche artistique, et l’envie de tenter d’en vivre. Après mon bac, j’ai donc intégré l’ETPA, une école de photographie toulousaine, de 2011 à 2013. Enrichi par cet apprentissage, j’ai directement pris mon premier statut d’indépendant. Neuf ans plus tard, je continue toujours dans cette direction.
Dès le début des années 2010, j’ai commencé à travailler par séries : certaines sont « permanentes », et ne cessent de se construire au fil des années. Tandis que d’autres sont réalisées sur de plus courts termes, généralement avec une unité de lieu et de temps. Toutes possèdent un propos, un concept et des influences qui leur sont propres.
Que cherchez-vous à transmettre à travers cette série ?
Cette série est en réalité une ramification de « Terres Perdues », que je définirais comme mon travail photographique principal. C’est le plus important et personnel, centré sur des atmosphères de haute montagne.
Il émane une certaine puissance des hautes altitudes sauvages. Différents sentiments s’y entremêlent : fascination, angoisse, humilité. Une étrangeté omniprésente éveille des instincts enfouis, ramenant l’esprit au stade d’une sorte de contemplation craintive face aux forces brutes qui semblent habiter ces immensités.
C’est de cet état de conscience introspectif que « Terres Perdues » puise ses racines. La démarche de la série est avant tout artistique : sous des influences picturales et cinématographiques, elle cherche à raconter une histoire à travers chaque image ; rassemblant les fragments de visions insoupçonnées dans l’idée d’évoquer un monde primitif, antérieur à l’anthropocène. En cela, les éléments climatiques les plus tourmentés agissent comme un révélateur, exacerbant le « sauvage » qui règne là-haut.
Pousser le concept encore plus loin, en liant cet univers vertical à celui des atmosphères électriques qui me fascinent tant, s’imposait alors comme une évidence. Une démarche qui, si elle semblait logique, aura dû attendre de longues années avant de se concrétiser. Le temps d’acquérir une expérience indispensable sur le milieu de la montagne, et les conditions climatiques qui lui sont propres. C’est une approche qui s’inscrit sur le long terme : car capter ces scènes « sans tricher » demande inévitablement de la patience – mais le propos réside aussi dans la véracité de ce qui est montré.
Quelles sont, selon vous, les difficultés majeures rencontrées dans la photo de nuit ?
Sans surprise, la difficulté dans le cas de la photographie nocturne est de réaliser une exposition correcte. J’essaie de faire en sorte que celle-ci soit aussi équilibrée que possible. À savoir sans zones sur ou sous-exposées, à moins que cela serve un propos artistique ou aide à retranscrire l’atmosphère telle que je l’ai perçue.
Outre les problématiques classiques comme celle du bruit numérique, viennent évidemment s’ajouter toutes les difficultés inhérentes à la photographie d’orages : il s’agit d’exposer correctement à la fois le paysage, mais aussi les éclairs. Un exercice d’équilibriste qui demande de conscientiser chacun de ses choix techniques, et de les maîtriser au mieux.
Quel matériel utilisez-vous pour réaliser ces images et quels réglages sont nécessaires pour capturer ces éclairs ?
Du point de vue du matériel, pour le moment cette série est intégralement réalisée avec un Nikon D750 ainsi que trois focales fixes : 20mm, 50mm et 85mm. La question des réglages est cruciale. Car si la technique est simple sur le papier; elle demande en réalité un perpétuel apprentissage sur le terrain pour s’affiner au gré des différentes situations et contextes, chaque orage étant unique. Si la nuit permet de longues expositions, la prise de vue diurne demande en revanche l’utilisation d’un détecteur spécial, appelé « cellule de déclenchement ».
Dans tous les cas, il faut savoir s’adapter à de nombreux facteurs : intensité des précipitations, puissance des éclairs, déplacement de l’orage… Mais au-delà de l’aspect photographique, 90% du travail consiste en réalité à savoir faire ses propres prévisions à partir de données brutes. Il faut aussi apprendre à connaître et comprendre les orages à la fois dans la théorie et sur le terrain.
Le maître mot dans la photographie de foudre est l’anticipation : il s’agit de toujours conserver un temps d’avance pour ne pas se laisser surprendre ; que ce soit du côté des réglages ou de sa propre sécurité. J’ai justement rédigé un article sur le sujet pour le site Chasseurs d’Orages. Il compile tout ce qu’il faut savoir pour s’initier à la photographie de foudre (d’autres dossiers abordant les autres aspects de la pratique y sont également disponibles).
Combien de photos réalisez-vous avant d’obtenir LA photo que vous conserverez ?
Dans mon cas, pour cette série en altitude, j’ai souvent en tête une composition bien spécifique. La réaliser nécessite généralement plusieurs repérages, notamment pour trouver des abris adaptés. Parfois il faut de multiples tentatives avant que les conditions souhaitées soient réunies et que la foudre frappe à l’endroit espéré.
Ensuite, il faut garder à l’esprit que chaque orage produira un certain nombre d’éclairs, et donc autant de photos différentes. Parfois une poignée, parfois des centaines.
Que ressentez-vous lorsque vous vous retrouvez face à ces vastes paysages et à une nature qui se déchaîne ?
Ces sentiments sont probablement les principaux moteurs qui animent cette obsession pour les orages d’altitude. Ils sont difficile à décrire, et c’est notamment l’objet d’une série de récits que je publie sur mon site. Celle-ci relate chaque saison orageuse dans la vaste région pyrénéenne et ses alentours.
Avant l’orage règne le silence de la haute altitude, l’esprit est dans l’expectative, c’est le calme avant la tempête. Mais quand les éléments s’abattent sur les cimes, c’est une expérience qui submerge tous les sens et les exacerbe. Ces orages sont bien différents de ceux des plaines, que l’on a l’habitude de connaître – et infiniment plus intimidants. Le tonnerre se déforme jusqu’à parfois se changer en des sonorités d’un autre monde. La pluie, la grêle et le vent vont dévaler des falaises des torrents de gravillons, décrochant parfois des blocs plus massifs des parois ; le déluge fait émaner de la roche et de la neige une odeur minérale unique ; sans mentionner, évidemment, le spectacle qui se joue sous nos yeux. Pendant quelques minutes, parfois quelques heures, le monde extérieur cesse d’exister, et ne subsiste que cette atmosphère primitive et sauvage.
Il y a aussi ce sentiment presque mystique d’assister à des événements dont on ne devrait pas être le témoin. Comme si la montagne se refermait, et que nul ne devait plus s’y trouver.
Et à vrai dire, d’un point de vue plus pragmatique; il me semble important de préciser que c’est un peu le cas. Lorsque je réalise ces ascensions, je tente dans la mesure du possible d’en maîtriser tous les facteurs : je connais déjà le terrain, je sais où est l’abri où je dois me rendre, combien de temps il me faut pour le rejoindre. J’ai affiné mes prévisions jusqu’au jour J. Je sais à quelle heure je dois impérativement être en sécurité, avec toujours une marge confortable.
En bref, je dois savoir où, quand et comment doivent théoriquement se former les orages, pour ne pas me retrouver exposé lorsqu’ils éclateront ; mais aussi être préparé et équipé pour la haute altitude. Il faut aussi savoir interpréter les signes sur le terrain. En effet, la prévision n’est pas une science exacte, d’autant plus en montagne. Enfin, à l’instant T, je dois respecter un certain nombre de précautions. Cela maximise ma sécurité, même si le risque zéro n’existe pas.
Toutes ces raisons expliquent pourquoi j’ai attendu d’avoir amassés des années d’expérience dans ces deux domaines avant de les lier. Car tout montagnard le sait, normalement cette combinaison est à fuir impérativement.
Voir la série complète Terres Perdues | Nocturnes
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